Les pourparlers réunissant islamistes au pouvoir et opposants pour résoudre en un mois une profonde crise politique en Tunisie entrent samedi dans le vif du sujet avec la reprise des travaux de la Constituante. Le lancement de ce dialogue national vendredi a finalement eu lieu après que le Premier ministre Ali Larayedh a fourni un engagement écrit de laisser dans trois semaines la place à un cabinet apolitique avec à sa tête un indépendant qui doit être désigné d'ici une semaine. Les représentants du parti islamiste Ennahda et de l'opposition ont planché jusqu'à tard dans la nuit pour former un comité chargé de composer la future équipe gouvernementale, a rapporté le syndicat UGTT, principal médiateur de ces pourparlers à huis clos. Samedi, les négociateurs des différents partis se sont retrouvés en début d'après-midi pour créer une commission d'experts devant assister la finalisation de la Constitution, en cours d'élaboration depuis deux ans et qui doit être adoptée dans un mois. En parallèle, les activités de l'Assemblée nationale constituante (ANC) ont repris avec le retour de la soixantaine d'élus d'opposition qui boycottaient ses travaux depuis l'assassinat le 25 juillet du député Mohamed Brahmi qui a achevé de paralyser la vie institutionnelle. Dans la matinée, les chefs des groupes parlementaires se sont retrouvés et ont "exprimé leur enthousiasme et leur disposition à accomplir leur mission", a indiqué, lors d'une conférence de presse, le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaafar. "Nous serons fiers de notre Constitution car elle sera celle des libertés", a-t-il promis. La commission en charge de sélectionner les candidats pour composer une instance électorale indépendante a ensuite entamé une réunion à huis clos en milieu d'après-midi. Plus tard ce sera celle du "consensus constitutionnel" qui doit plancher sur la loi fondamentale. L'ANC a sept jours, selon la feuille de route rédigée par les médiateurs, pour former la commission électorale qui aura la charge d'organiser les prochaines élections législatives et présidentielle. Malgré le lancement des pourparlers après trois mois de bras de fer et de multiples reports, la méfiance restait néanmoins de mise. "La vigilance sera la règle pour tous ceux qui veulent que ce processus réussisse car nous ne sommes évidemment pas à l'abri des habituelles tentatives de marchandage d'Ennahda", a estimé l'élue d'opposition Selma Mabrouk sur sa page Facebook. Tout en exprimant un certain soulagement, la presse tunisienne doutait aussi de la capacité des politiques à dégager un consensus. "La tâche du dialogue national n'est pas de tout repos. Les partis politiques devront s'entendre en trois semaines voire un mois sur ce qu'ils ne sont pas parvenus à déblayer pendant deux ans", relevait Le Quotidien. Attaques jihadistes, fronde de policiers L'esquisse de sortie de crise intervient dans un contexte de violences jihadistes ces derniers mois, des attaques ciblant les forces de l'ordre et l'opposition et attribuées à des cellules d'Al-Qaïda. La mort de six gendarmes et d'un policier mercredi dans deux incidents distincts a d'ailleurs entraîné des manifestations de colère dans leurs villes natales vendredi, jour de funérailles. En outre, un important syndicat des forces de l'ordre a demandé au gouvernement de garantir la sécurité des agents face "au danger terroriste" et de réintégrer des cadres limogés après la révolution, en menaçant "d'autres formes de revendications et de manifestations". Ce même syndicat avait organisé la manifestation qui avait chassé le président Moncef Marzouki et M. Larayedh d'une cérémonie à la mémoire de gendarmes tués. L'opposition accuse les islamistes d'être responsables, par leur laxisme vis-à-vis des salafistes, de la dégradation sécuritaire dans le pays, alors que l'état d'urgence est en vigueur depuis la révolution de janvier 2011. Les assassinats en février et en juillet des opposants Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, attribués à des jihadistes, étaient à ce titre au cœur de la crise politique qui a fini par pousser le gouvernement à accepter de céder la place à des indépendants. Les conflits politiques ont aussi nourri l'anémie économique, alors que les revendications sociales étaient au cœur du soulèvement contre Zine El Abidine ben Ali. Dans ce contexte, l'Utica, le patronat tunisien et autre médiateur a souligné samedi "la sensibilité de la situation économique du pays", en rappelant que "la reprise du rythme des investissements (était) tributaire de la mise en place d'un climat de sécurité et de stabilité".