Vendredi, à la forêt de Bouchaoui. L'ère de «détente» grouillait d'un monde hétéroclite fait de bambins «innocemment» heureux de s'éclater, de vieillards en trop grande difficulté physique pour rayonner du visage, de jeunes gens sceptiques sur la qualité de leur «sortie» et de vendeurs en tous genres qui ont «baissé rideau» pour «pause» entendue. Il était 13h30 et l'appel à la prière hebdomadaire avait déjà été lancé depuis une dizaine de minutes. On aurait pu avoir un peu de mal à entendre cet appel tellement le bruit qui emplissait l'espace était fort, mais il n'y avait pas à s'inquiéter pour ça. Tout et n'importe qui pouvait vous «rappeler à l'ordre», des fois que vous seriez assez nonchalant pour oublier la sacralité du moment. Au milieu de ce fatras indescriptible, des toboggans dégonflés, pour ne pas être en reste, font languir des enfants qui attendent la «reprise» avec l'impatience d'innocents à qui on a bien expliqué qu'on ne joue pas à l'heure de la prière du vendredi mais qui s'enfièvrent quand même parce qu'ils ne sont pas en âge de «comprendre», en dépit du zèle explicatif de leurs parents et des proposés aux manèges. Dans un coin, un gamin qui aurait pu être lui aussi parmi ceux qui languissent d'un toboggan, attend avec la patience d'un moine bouddhiste devant sa machine à barbe à papa. Une mécanique sommaire doublée d'une improbable alchimie qui vous permet de vendre un kilo de sucre pour cent fois son prix. Mais on n'a pas inventé l'arnaque à la mousse sucrée dont raffolent les enfants. On n'est, par contre, certainement pas obligé d'attendre la fin de la prière pour la vendre. Ce n'est pas une obligation religieuse, ce n'est pas non plus une disposition du droit positif. On ne sait peut-être pas que vendre de la barbe à papa pour enfant ou lui ouvrir un jeu au moment de la prière n'est pas illicite mais on s'y plie volontiers quand même. Par ignorance, par paresse et surtout par… lâcheté. Parce qu'on sait qui fait la loi en l'occurrence, on fait semblant d'y croire. C'est d'autant plus commode que personne ne viendra vous reprocher de respecter une loi, même tacite, quand elle revêt les oripeaux du sacré. Il arrive même que ce soit les moins croyants qui font preuve de plus de zèle dans son observance. Sinon, tout ce beau monde qui se plie au diktat des illuminés du coin serait à… la mosquée à l'heure de cette randonnée bucolique du vendredi. C'est cela le terrible paradoxe, les lois imposées par le fait accompli et la peur sont scrupuleusement «respectées» même si on n'y croit pas trop. Quant aux lois «officielles», on peut toujours les fouler au pied. Parce qu'on croit à tort ou à raison qu'elles sont injustes, parce que leur rigueur ne s'impose pas à tous ou parce que l'Etat, trop omnipotent et inégalitaire pour être fort, n'y contraint pas le citoyen, quand il ne le fait pas selon l'intérêt politique du moment. A ce propos, c'est en toute illégalité, dans des conditions d'hygiène lamentables et à des prix «libres» que le gamin vend sa barbe à papa et il le sait. Mais de cela, il s'en fout royalement, les seuls qui peuvent empêcher son petit business sont ceux qui le surprendront en train de «travailler» au moment de la prière ! Et ceux là, ils sont plutôt coercitifs. Même s'ils en ont rarement besoin, la dissuasion ayant largement suffi. [email protected]