Cela fait déjà un moment qu'on parle du mouton. Comme d'un «projet» à terme, la bête à sacrifier occupe l'actualité plus d'un mois avant la «fête». A tout seigneur tout honneur, c'est bien évidemment son prix qui angoisse les médias, même si on ne sait pas vraiment si c'est tant que ça la préoccupation majeure des ménages. Mais on sait déjà que ceux qui ont les moyens «d'égorger', vont... égorger ! Le problème est qu'on sait aussi qu'il y en beaucoup qui vont les trouver, les moyens. Le pouvoir d'achat, en nette et constante érosion, n'y pourra rien. Les nouveaux riches vont redoubler d'exigences sur la provenance, le volume et la morphologie du mouton. Les nouveaux pauvres ne pourront pas y renoncer parce que pour eux, ce serait le signe le plus honteux de leur déchéance sociale. Ils peuvent bien râler sur le prix de la patate mais le mouton de l'Aïd, c'est sacré ! Et pourquoi le prix du mouton n'atteindrait-il pas les cimes puisque tout le monde ou presque va en acheter ? Ils sont quand même pathétiques, les confrères, les «citoyens», les éleveurs, les «spécialistes» et les autorités qui s'échinent, chaque année à la même période, à trouver une explication savante à la montée des prix du mouton. Un mouton systématiquement «hors de prix» dans le discours et providentiellement... accessible dans la vie réelle ! C'est vrai qu'il est difficile de trouver des explications rationnelles à une pratique irrationnelle ! Mais on y va quand même, puisqu'il n'y a pas mieux. Il n'y a pas de marché qui puisse réguler les prix parce que tout le monde peut vendre et les prix ne peuvent qu'augmenter quand tout le monde se sent «obligé» d'acheter. Même le bon vieux discours, tiré par les cheveux, sur les «millions de bêtes sacrifiées chaque année», ce qui influerait sur la baisse de l'offre, a complètement disparu de l'argumentaire des «analystes». Il y a de plus en plus de moutons, de plus en plus de vendeurs et les prix augmentent de plus en plus, voilà la réalité. L'explication, elle, est très simple : les prix sont déjà en continuelle ascension s'agissant pour les besoins, pourquoi ils baisseraient pour les... besoins sacrés ? On ne sait toujours pas comment un quidam qui ne consomme pas dix kilos de viande par an en arrive à se ruiner pour s'en offrir quarante en deux ou trois jours, mais on sait que le prétexte religieux sert depuis longtemps à faire sourire dans la commissure des lèvres. Sinon, il faudra bien expliquer pourquoi faut-il acheter le mouton parce que ça fait le bonheur des enfants. Pourquoi sacrifier des choses essentielles pour... sacrifier une bête ? En quoi le mouton élevé sur la steppe serait différent des autres ? Quelle est la recommandation religieuse qui conseille le mouton de Djelfa parce qu'il broute dans le Chih ? Pourquoi faut-il aller chercher des bêtes avec les cornes les plus pointues et les plus exubérantes ? Quel est le rapport du rite musulman avec les combats de moutons devenu «sport national», avec des paris qui dépassent tout entendement ? Pourquoi on trouve des congélateurs pleins à craquer de viande des semaines après l'Aïd alors qu'il s'agit d'en donner aux pauvres et aux proches ? Pourquoi on fait de la viande séchée ? Pourquoi on tient tant à un rituel qui n'est pas obligatoire quand on ne fait même pas la prière ? Pourquoi... acheter un mouton quand on n'a pas les moyens ? Pourquoi les médecins parlent du cholestérol sans déconseiller la viande de mouton. Pourquoi spécialement un mouton alors qu'on peut sacrifier une autre bête ? Question imprudente, des fois que ça donnerait des idées à certains pour égorger des... bœufs ! Mais nous sommes dans l'irrationnel, n'est-ce pas ? [email protected]