Il y a joué quatre ans, de 1954 à 1958, quatre ans durant lesquels il s'est forgé une stature de grand footballeur jusqu'à devenir le meilleur défenseur du championnat de France et peut-être du monde. Il avait alors évincé du poste de libero de l'équipe de France un certain Robert Jonquet qui évoluait dans la meilleure équipe de l'époque : le Stade de Reims. L'AS Monaco, le club en question, n'a jamais oublié Mustapha Zitouni, celui qui vient de nous quitter à l'âge de 86 ans. En dépit du fait qu'il l'avait quitté en 1958 pour rejoindre Tunis et l'équipe du FLN, le club de la Principauté a conservé un excellent souvenir de Mustapha auquel il a consacré cet hommage que nous reproduisons dans son intégralité. Considéré, à juste titre, comme un des meilleurs défenseurs centraux du monde à son époque, Mustapha Zitouni a eu une carrière scindée en deux parties : celle menée dans l'Hexagone (clubs de Cannes et de Monaco) et celle (plus politique) dans l'équipe du FLN.L'homme, qui a fêté ses 80 ans il y a peu, peut se regarder dans une glace même s'il a manqué quelque chose de grand en tant que joueur. Un exemple à suivre pour tous ceux qui ont eu à choisir. Zitouni : un modèle. Sa fiche d'identité : Zitouni est né le 19 octobre 1928 à Alger. Il est de nationalité franco-algérienne. Il a évolué au poste de défenseur (central la plupart du temps). Il a été sélectionné à quatre reprises en équipe de France. Il a aussi fait partie de l'équipe du FLN à partir de 1958 ; il a donc raté la Coupe du monde en 1958, en Suède, où il avait sa place assurée dans le onze tricolore. Pour le qualifier, un vieux dirigeant algérois aura cette phrase : «Lorsqu'il est né, les fées se sont penchées sur son berceau.» Il a mené sa carrière de footballeur tranquillement contrairement à sa carrière de militant. Il n'y a pas assez de qualificatifs pour parler du joueur Zitouni : il faisait preuve d'autorité sur et en dehors du terrain, il possédait un fantastique coup d'œil qui lui permettait d'anticiper sur de nombreuses actions et de contrer toutes velléités adverses, il possédait un placement hors pair, ce qui lui permettait de ne pas courir dans le vide, il faisait montre aussi d'un sang-froid énorme face aux attaquants adverses mais sa principale qualité de joueur et d'homme était son sens du collectif. Ce n'était pas un vain mot. Sa carrière de joueur : «Monsieur Football», son surnom, a commencé à tâter du cuir dès son plus jeune âge sur les terrains vagues et les ruelles de son quartier Bologhine (ex-Saint-Eugène). Zitouni a débuté sa carrière en France dans le club du Stade Français (pas de date du début). *1953/1954 : AS Cannes *1954/1958 : AS Monaco *1958/1962 : Equipe de football du FLN *1962/1966 : RC Kouba (Algérie) Son palmarès : International français en 1957 et en 1958 (4 sélections) International algérien en 1963 et en 1964 (7 sélections) Finaliste de la Coupe d'Algérie en 1966 avec le RC Kouba Après ses modestes débuts, Zitouni se fait remarquer par les recruteurs de France et il ne tarde pas à franchir la Méditerranée et à rejoindre un football plus attractif. Ce qu'il ne sait pas encore c'est que quelque mois plus tard, il y aura le déclenchement de la guerre de Libération nationale. Il signe alors sa première licence de joueur dans le club de l'AS Cannes. Nous sommes en 1953 et Zitouni est alors âgé de 25 ans. Le club où, clin d'œil du destin, un autre génie, lui aussi d'origine algérienne, sera formé par ce même club : Zinedine Zidane. L'un mènera l'équipe de France au succès ; l'autre choisira une autre voie. L'un comme l'autre possédaient toutes les qualités techniques et le talent pour devenir des idoles de leur temps. L'un réussira sa carrière au-delà de toutes ses espérances ; l'autre choisira la voie de la raison et du cœur et se privera d'une fulgurante ascension. Grâce à son passage sur la Croisette, Zitouni acquiert une autre dimension qui aiguise l'appétit d'un autre club sudiste : l'AS Monaco. Attiré par ce joueur hors du commun, l'ASM tente de le faire venir sur le Rocher. Mieux armé, plus puissant économiquement aussi, avec d'énormes ambitions, le club asémiste attire donc la perle du voisin et lui fait signer un contrat longue durée (le contrat à temps n'existe pas encore). Monaco ne le regrettera jamais. Pour le club du Rocher, Zitouni restera quatre saisons * 136 rencontres et inscrira deux buts. * 120 matches de championnat et 2 buts. * 12 parties en Coupe de France. * 4 rencontres de coupe Drago. A Monaco, il explose et expose aux yeux de tous son immense talent et il ne tarde pas à pousser vers la sortie un inamovible du poste à l'ASM : Jonquet. Ce n'était pas une mince affaire à l'époque. Zitouni devient un joueur «impérial» et un joueur incontournable du championnat de France et surtout du club princier. Dommage pour l'ASM que ces quatre saisons soient avortées par un fait extra sportif. Que serait-il advenu du joueur Zitouni ? Monaco aurait-il encore profité de sa pépite ? On ne refera pas l'histoire… Zitouni fera son choix et l'ASM perdra beaucoup plus qu'un simple joueur. L'équipe de France, du FLN, celle d'Algérie, son retour en Algérie En équipe de France, c'est le sélectionneur de l'époque qui le remarque, Paul Nicolas, et décide d'en faire un titulaire indiscutable en charnière centrale. En 1958, Zitouni était le numéro un des «demi-centres» de l'époque et, c'était mérité. Il brillait alors avec l'équipe du Rocher. En quatre apparitions sous la tunique frappée du Coq, Zitouni se fera remarquer. Il jouera alors contre la Hongrie, la Belgique, l'Angleterre et l'Espagne (3 rencontres amicales et 1 de qualification à la Coupe du monde). Sur ces quatre matches, l'équipe de France s'inclinera à 8 reprises (buts encaissés) mais l'implication de Zitouni n'est pas à déplorer. Au contraire, lors de la rencontre face à l'Espagne, le défenseur centrale paralyse un autre joueur de grand talent : Alfredo Di Stefano. Le génie défensif prit alors le pas sur celui de l'attaque. Sans doute un des plus grands moments footballistique de Zitouni en France. L'équipe de France pratique alors une défense de zone pour les centraux et Zitouni se sent à l'aise dans cette formation. En 1958, avant que ne débute le Mondial en Suède, Zitouni décide, à l'instar d'autres joueurs, comme Rachid Mekhloufi le Stéphanois, Brahimi ou Ben Tifour, de rejoindre l'équipe du FLN (le «onze de l'Indépendance»), un mouvement de lutte pour l'indépendance de l'Algérie, et il rejoint donc Tunis au printemps 1958. Il tourne alors le dos à son pays d'adoption, l'argent, la renommée... Il a choisi de mettre en avant son engagement envers son pays plutôt que de mener une carrière qui aurait pu le mener vers les sommets. Cette équipe du FLN devint alors une véritable équipe d'Algérie, bien avant la lettre, bien qu'elle ne fut jamais reconnue par les instances internationales du football. Il fut la figure de proue de cette équipe du FLN. Pour justifier son engagement, il dira seulement ceci : «J'ai beaucoup d'amis en France, mais le problème est plus grand que nous. Que faites-vous si votre pays est en guerre et que vous êtes appelé ?» Zitouni a choisi. Les footballeurs de la «Révolution» joueront de nombreuses rencontres et propageront à travers le football leur idée de la vie. Tous ces joueurs deviendront des icônes dans leur pays. Ils auront une place dans le panthéon des joueurs algériens de ce siècle. Pour le 50e anniversaire de l'équipe du FLN, le fils de Zitouni déclara ceci en forme de mise au point : «Je suis entouré de monuments du sport et du devoir national ; et comme tous les monuments, on ne doit pas les laisser tomber en ruine.» En 1962, après l'indépendance de son pays, Zitouni stoppe sa carrière au FLN et se concentre sur le RC Kouba. C'est la naissance d'une énorme relation entre lui et ce club. Il devient l'entraîneur - joueur de cette équipe. Il y restera quatre saisons (un chiffre qui le suit). Il en profitera aussi pour porter la tunique algéroise à sept reprises (4 rencontres face à l'Egypte, une fois contre la Tunisie, la RFA et l'URSS). De cette période koubéenne, Zitouni se fera remarquer lors d'une rencontre mémorable : lors de la demi-finale de Coupe d'Algérie, dans le stade du 19-Juin, son équipe se retrouve menée 0-2. C'est le moment que choisit l'entraîneur, joueur et capitaine du RC Kouba pour sonner la révolte. Zitouni marque alors deux buts (lui, le défenseur de métier) et propulse son équipe en finale. Une finale hélas perdue 1 - 3 face au grand CRB de l'époque. De cette équipe, Zitouni gardera une kyrielle de souvenirs. L'ambassadeur, qui a véhiculé les échos de la révolution algéroise aux quatre coins du globe pendant la période du FLN, vit aujourd'hui à Nice. Il se trouve dans un anonymat des plus regrettables et souffre dans sa chair. Il ne manquait aussi jamais de retourner dans son quartier d'enfance où il se replongeait avec délice dans un climat familiale des plus propices à son épanouissement.