On a entendu vraiment très peu de pétards exploser ces derniers jours, maintenant que le Mouloud est là, on ne peut même pas se rattraper en disant qu'on a parlé trop vite. Trop tard, les salves infernales qui cauchemardent nos ruelles, nos parkings, nos cages d'escalier et nos balcons sont apparues cette année dans des proportions tellement rachitiques et muettes que cela devient… inquiétant. Ça faisait quand même du bruit les pétards, et il n'y a pas plus angoissant que le silence. Enfin, chacun a ses angoisses, et chacun a les silences qui les rendent insupportables. Tenez, parmi les peurs du silence assourdissant du pyrotechnique, on peut retrouver invariablement le petit vendeur à qui il reste encore une dose de candeur pour croire que quelque chose a changé si le pétard se fait discret. Contre mauvaise fortune il fait bon cœur en espérant que si les gros bonnets des explosifs festifs ont renoncé cette année à une mine d'or aussi généreuse, c'est que le pays est «sur la bonne voie». Il s'est même surpris à rêver d'un vrai boulot avant de se rappeler qu'il en avait déjà un qui ne lui permettait pas de faire bouillir dignement la marmite. Il s'est mis alors à s'inquiéter pour l'avenir. En attendant de penser à un petit business de substitution, il s'en est allé prêter oreille plus attentive. Quand on a vendu des pétards depuis des années, on a les oreilles en mutation fonctionnelle : ou elles n'entendent jamais les pétarades malgré leur intensité ou on les entend partout même s'il n'y a aucune explosion en réalité. En sautant du coq à l'âne, on découvre Amar Saâdani, musicien et patron du FLN, l'homme que le silence inquiète le plus en Algérie. Il était habitué au son des youyous annonçant la fête, cette fois, ce n'est pas avec sa percussion en bandoulière qu'il attend que sonne l'hallali. N'entendant rien venir, il a décidé de bousculer les événements dans un boucan d'enfer pour convaincre et se convaincre que le silence n'est pas une fatalité. Il pensait convoquer la fanfare mais la fanfare lui a joué une autre partition avec un chef d'orchestre inopportunément caché dans la foule. Il le connaît bien puisque ça ne fait pas longtemps depuis qu'il lui a ravi le pupitre. Mais pour la fête, il faut aussi la baguette et ni l'un ni l'autre ne l'avaient. Sauf que Belkhadem, puisque c'est de lui qu'il s'agit comme disent les journalistes sportifs, a fait plus de bruit. Un bruit presque aussi inquiétant que le… silence. M. Saâdani ne doit pas dormir beaucoup ces jours-ci mais on peut aussi faire des cauchemars éveillés. L'autre Amar, le Ghoul, c'est Zahia Benarous, sa star en déclin organique récupérée chez les amis d'en face, qu'il a envoyée rompre le silence des neiges éternelles de Tikjda. Elle est partie sur les hauteurs de Bouira lancer un pathétique «Oh, combien je vous aime» aux Kabyles qui auraient mal compris les propos nauséeux de son chef sur Yennayer. C'est à croire qu'il a parlé en morse Amar Ghoul, qui ne pouvait pas faire le déplacement tout seul. Elle n'a pas présenté d'excuses mais elle a trouvé une… excuse à l'absence du patron : on ne rate pas une visite du Premier ministre à Blida pour aller réparer une insulte à 27 siècles d'Histoire ! Surtout quand, en plus de devoir affronter une colère locale, il est possible de devoir s'expliquer sur… l'explosion du tunnel de Dj'bel Wah'ch ! On peut cauchemarder éveillés. On redoute le silence ou le bruit, chacun ses angoisses et ce qui les rend insupportables, n'est-ce pas ? [email protected]