Est-ce pareil partout en terre d'Islam, mais en Algérie, le Mawlid Ennabaoui s'annonce plusieurs semaines à l'avance : à mesure qu'il approche, les explosions de pétards augmentent en intensité et diminuent en intervalles. Au début, les non-pratiquants de ces étranges festivités sonores qui n'ont pas le réflexe de lier le retour de ces annuelles pétarades avec l'anniversaire sacré ne s'en rendent même pas compte. En tout cas, pas besoin d'être particulièrement branché sur le calendrier lunaire ou de bien tenir son agenda des services religieux pour sentir le Mawlid arriver. Cette fois-ci, on a manqué de munitions, du fait d'une plus grande vigilance douanière peut-être ou parce que les Chinois avaient probablement à satisfaire une demande interne accrue en prévision des Jeux olympiques. À moins que l'inflation n'ait réduit les capacités d'approvisionnement des familles en produits explosibles. Car, c'est bien les familles qui, dans la plupart des cas, se chargent de ravitailler leur progéniture en pétards et autres artifices pyrotechniques. On peut observer quelques gros dadais d'âge mûr, si l'on peut dire, partageant cette étrange distraction avec leurs cadets. La production du désagrément érigé en moyen de divertissement ! Ce serait juste une paradoxale expression de la fête si l'on n'observait pas que les enfants, les adolescents et les “adultes” qui manipulent toutes sortes de substances explosives et incandescentes ne ressentaient un certain plaisir à faire sursauter les marcheurs. Si d'aventure le pétard atteint physiquement le passant, c'est la jouissance ; et si le passant est une passante, c'est l'extase. Ce spectacle, à l'évidence significatif d'un état mental collectif se déroule, sur des jours, sous le regard complaisant de toute une société et de son Etat. Les chefs de famille se retiennent à peine de se plaindre des prix des pétards et des mèches incandescentes. Ils se rabattent sur la cherté des courgettes et des navets, tout aussi inabordables, en veille de Mawlid. La presse s'est d'ailleurs fait l'écho de cette angoisse budgétaire de nos familles qui refusent de choisir entre le plaisir de la table et le supplice des oreilles. La “rechta” que ces légumes doivent accompagner se fait aussi rare depuis que la pâte n'est plus une production domestique. On peut voir ainsi des amis et collègues se démener d'un bout à l'autre de la ville pour se la procurer. Au-delà du côté énigmatique de l'absurdité de certaines manifestations sociales, ce plaisir d'importuner tend à prendre des proportions de trait de société. Même les catégories qui ne peuvent être soupçonnées d'irrationalité cèdent à ces perversions, probablement par refus de se battre contre la vague de normalisation et par désir de se fondre dans la masse pour mieux s'en protéger. Et tout le monde se retrouve à participer à cette œuvre de régression comportementale qui a été, à l'origine, engagée par ceux qui ne peuvent pas exprimer positivement leur existence. Faute d'exister en exhibant sa contribution sociale, on existe en opposant sa nuisance, en effet. Dans les deux cas, on croit imposer son être. La situation devient alarmante quand c'est toute une société qui se laisse emporter dans un mouvement de décadence. M. H. [email protected]