Au rythme où vont les choses, dans quelques années, les enfants n'auront du plaisir qu'en jouant à la roulette russe. Ni le Mawlid Nabaoui, ni les deux Aïds, ni aucune autre fête religieuse ou autre ne représentent une source de joie pour les familles et les individus. A l'approche de chacune de ces occasions, les rues des villes et grandes agglomérations sont jonchées de produits et habits de circonstance. Qu'importe le prix, pour le sourire du conjoint, des enfants et des parents. Les comptes et les regrets ne viennent qu'après. Toutefois, ces détails d'ordre pécuniaire n'expliquent pas tout. En effet, bien plus que les autres où l'argent est le plus important rabat-joie, la célébration du Mawlid Nabaoui dénature même la joie des enfants. «Je me souviens de ces grandes fêtes sur les places des villages, la nuit du Mawlid», se souvient Saïd, la cinquantaine. «Les enfants chantaient en choeur sous les youyous des mamans et soeurs», continuait-il d'un air nostalgique. «Je me rappelle même les paroles de ces chants à la lumière des bougies qu'on accrochait partout, sur les arbres, les murs, les toits et même les grands rochers» ajoute son ami assis près de lui, le regard perdu dans le passé. Cette petite discussion se déroulait dans un café de la ville de Tizi Ouzou. Dans les villages, les gens se souviennent encore. Ahmed, un octogénaire, remonte plus loin dans le temps. «Quand on était enfant, pendant l'Aïd El Kebir, on était très heureux de se partager le jeu avec une vessie de mouton», se souvient-il. «Nous la gonflions à tour de rôle pendant que l'odeur de la viande exhalait de toutes les maisons». «Nos habits étaient juste lavés pour la circonstance, on était tous habillés de la même façon, le prix n'était pas encore un obstacle pour la joie d'un enfant». Ces témoignages renseignent non seulement sur la différence dans les célébrations, mais aussi sur la manière de rechercher la joie. Cette année, à deux jours de la fête du Mawlid Nabaoui, les trottoirs sont envahis de pétards. Un tour dans la ville de Tizi Ouzou permet de découvrir toutes de sortes de pétards. Le danger de ceux qu'on fabriquait jadis à l'aide de clés remplies de soufre n'est rien comparé à celui qui guette les enfants aujourd'hui. On y distingue des pétards de la taille d'un doigt jusqu'au bâton de dynamite. La concurrence dans la conception est si grande que cette année, la nouveauté est le pétard en forme de grenade, avec la même couleur et pis encore, il obéit au même mode d'emploi. «Ma parole, au rythme où vont les choses, dans quelques années, les enfants n'auront du plaisir qu'en jouant à la roulette russe», s'exclamait un citoyen devant ces pétards grenades. En fait, le danger, ces jours-ci, ne touche pas uniquement les enfants. Il est devenu coutume de faire exploser ces pétards au passage des femmes. «On drague comme des cannibales», dira Hamid sur un ton ironique. Et, si l'explosion d'un pétard peut ne pas faire de mal, le risque devient cependant plus réel pour les femmes enceintes. Pendant ces deux semaines, on entend des explosions partout. Sur les trottoirs, sur les terrasses, sur les places des villages, dans les cafés et même dans les maisons. Au bruit de ces pétards de gros calibre, les pigeons effarouchés volent dans tous les sens. Et, si les pigeons peuvent voler dans tous les sens, les enfants, blessés, n'empruntent qu'un seul, celui de l'hôpital. A chaque Mawlid, des centaines de victimes sont évacuées vers les centres de soins pour des brûlures de différents degrés. Toutefois, ce phénomène qui rend la vie insupportable et qui n'offre aucune joie aux enfants, n'est-il pas alimenté par les victimes elles-mêmes? «Ce sont les gens accompagnés de leurs enfants qui achètent le plus», nous confiait un jeune revendeur. «Après cette fête, je vais reprendre la vente de vêtements». Questionné sur son créneau habituel, le vendeur s'avère un connaisseur averti en commerce. «Vous savez, on n'est pas obligé de vendre ce que les gens achètent, c'est eux qui achètent tout ce qui se vend», affirme-t-il, sentencieux.