«Le bruit fait taire la peine!...» Louise Maheux-Forcie L'été est la saison opportune pour vivre plus près de la nature quand on peut s'offrir des vacances. Quand on n'a pas les moyens de changer de décor, le soir, quand toutes les souris sont grises, on ouvre la fenêtre pour avoir l'impression de vivre à la belle étoile. C'est du moins ce que croit chaque père tranquille de cette infortunée cité populaire où le sommeil est une denrée rare et précieuse. Il faut dire que les dernières nuits d'été sont infernales: non pas à cause de la température estivale, des moustiques, ou des odeurs nauséabondes qui émanent des dépôts d'ordures placés juste sous les fenêtres d'immeubles surpeuplés et qui étouffent les velléités d'un rachitique plant de jasmin qui s'accroche comme il peut à un grillage rouillé, mais à cause du bruit infernal qui s'installe après le solstice d'été. Paradoxe, les nuits en devenant plus courtes deviennent insupportables pour les noctambules professionnels: les chômeurs professionnels, jeunes et moins jeunes commencent à veiller de plus en plus tard par la grâce d'un café froid et d'un joint itinérants. Les discussions vont bon train, ponctuées de rires homériques ou de glapissements propres à alimenter les cauchemars des insomniaques en panne de sédatif. Les jurons fusent, les appels, les onomatopées, tout un registre de sons communs aux espèces humaine et animale constituent la bande sonore de cette vie où mêmes les rats n'osent plus sortir alors que les chats se réfugient dans une semi-clandestinité. Cette situation empire le soir de match de football ou de noces: un défilé ininterrompu de voitures aux moteurs vrombissants est organisé spontanément par une bande de jeunes surexcités qui hurlent des chansons sans paroles en s'accompagnant d'un concert de klaxons qui vrillent les tympans. Des rires rythment l'explosion de gros pétards qui font l'effet de bombes. Comme cela ne semble pas suffire aux jeunes en perpétuelle fête, un orchestre fait d'un assemblage hétéroclite d'accessoires de percussion est improvisé. Aussitôt, comme venus du néant, un tambour et une trompette se mêlent à la joyeuse cacophonie, et une sarabande de jeunes drapés dans des drapeaux de diverses origines, occupent la petite place de l'impasse. Des feux de Bengale illuminent l'espace qui était jusque-là couvert par la lumière funèbre de l'éclairage public. Le rythme est donné par le tambour et les battements des mains accompagnés de slogans incompréhensibles. Bref, on se croirait à la belle époque de l'indépendance: il ne manque plus que l'enthousiasme et la naïveté de ce temps-là. Et cela dure jusqu'à ce qu'une bagarre éclate, faisant entrouvrir les volets clos... Tout cela pour raconter la difficulté d'être (et de dormir) dans cette cité populaire où chaque équipe de football a ses supporters et les citoyens non concernés par ce sport roi sont obligés de subir l'exaltation et les débordements d'une jeunesse à qui l'on n'a offert que cet exutoire pour exorciser les démons de l'oisiveté. Alors, vous parlez, quelle est ma déception quand j'entends les cris de victoire de mon voisin du dessous (j'arrive à percevoir tous les sentiments qu'il extériorise bruyamment à l'occasion des matchs de football à tel point que je n'ai pas à allumer la télévision pour connaître le score final): l'Equipe nationale vient de s'illustrer contre une équipe africaine et cela semble pour mon voisin un formidable exploit. Si le contraire s'était produit, nous n'aurions connu les mêmes explosions de joie que lors de la victoire éphémère de notre glorieuse équipe lors du Mondial de 1982. Et tout ce tapage nocturne durera ce que durent les été nord-africains, comme une mise en train pour les veillées de Ramadhan qui s'annoncent déjà avant l'heure.