Sourd à toutes les critiques, le gouvernement turc a poursuivi son entreprise d'épuration de la police et de la justice, accusées d'abriter le cœur d'un "complot" contre lui, pendant que le Parlement examinait son projet très controversé de réforme judiciaire. Mercredi matin, les médias turcs ont révélé que le ministre de l'Intérieur avait ordonné une nouvelle purge massive visant 470 agents de la sûreté nationale à Ankara, dont une poignée de hauts gradés, ainsi que quinze autres dans la ville d'Izmir (ouest). Cette nouvelle vague de mutations et de révocations porte à plus de 2.000, selon le décompte de la presse turque, le nombre de policiers, préfets comme simples officiers, sanctionnés depuis la mi-décembre et la révélation du scandale de corruption qui éclabousse le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Mardi soir, le ministre de la Justice a de son côté muté un total de 96 procureurs et juges de haut rang dans plusieurs villes du pays. Parmi eux figurent des magistrats en charge des dossiers qui ont conduit la condamnation, en 2012 et 2013, de plusieurs centaines de militaires d'active ou à la retraite reconnus coupables d'avoir conspiré pour renverser le gouvernement. A l'issue d'un coup de filet policier très médiatisé mi-décembre, la justice turque a inculpé ou incarcéré plusieurs dizaines de patrons, hommes d'affaires et élus proches du pouvoir soupçonnés de corruption, fraude et blanchiment. Cette opération a provoqué la démission de trois ministres et un remaniement gouvernemental d'ampleur. Directement menacé, M. Erdogan ne cesse d'accuser ses ex-alliés de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, très influents dans la police et la justice, de manipuler ces enquêtes dans le cadre d'un "complot" destiné à provoquer sa chute, à la veille des élections municipales de mars et présidentielle d'août 2014. Dans un rare entretien accordé mardi au Wall Street Journal, M. Gülen a démenti ses allégations et accusé en retour l'actuel gouvernement d'avoir "inversé" la marche de la Turquie vers la démocratie. Erdogan droit dans ses bottes Non content de purger la police et la justice, M. Erdogan a également engagé une réforme judiciaire visant à renforcer le contrôle politique de la justice. Après une semaine de violents débats en commission, l'Assemblée a entamé mardi soir l'examen en séance plénière un projet de réforme du Haut-conseil des juges et procureurs (HSYK) afin de donner, notamment, au ministre de la Justice le dernier mot en matière de nomination des magistrats. Le débat doit durer jusqu'à vendredi avant un vote, acquis pour le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan, qui dispose d'une large majorité à l'Assemblée. Ce texte a provoqué l'ire de l'opposition turque, qui le juge contraire à la Constitution et uniquement destiné à étouffer les enquêtes qui menacent le régime. A l'étranger également, les critiques ont fusé contre ce projet de réforme, considéré comme portant atteinte à la "séparation des pouvoirs", notamment aux Etats-Unis et dans l'Union européenne (UE), qu'Ankara souhaite intégrer. Mais lors d'une visite mardi à Bruxelles, M. Erdogan, intransigeant, a campé sur ses positions. Face aux dirigeants européens, il répété la thèse du "complot" et justifié les purges et sa réforme judiciaire. "La justice ne peut pas outrepasser son mandat, c'est ce qui se fait en Turquie et tout le reste n'est que désinformation", a-t-il tranché. "Personne ne peut s'interroger sur la nécessité de séparer les pouvoirs mais si l'un de ces pouvoirs parasite l'autre", alors le législatif peut intervenir, a poursuivi le Premier ministre. La crise politique qui secoue la Turquie commence à peser sur les marchés financiers, où la livre turque (LT) à atteint mardi ses plus bas niveaux historiques à 2,26 TL pour un dollar et 3,05 TL pur un euro, et menace les objectifs de croissance du gouvernement pour 2014.