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«Par le dialogue positif, les forces politiques tunisiennes ont pu trouver des solutions et des compromis» Dr Sahel Makhlouf, politologue, au Temps d'Algérie :
La Tunisie a adopté lundi sa nouvelle Constitution et formé son nouveau gouvernement technocrate. Le Dr Sahel Makhlouf, politologue et professeur à la faculté des sciences politiques et des relations internationales d'Alger, estime dans cette interview qu'il s'agit d'un exemple dans l'élaboration d'un consensus politique ou d'un compromis politique historique nécessaire pour la marche vers la démocratie. La Tunisie vient d'adopter sa nouvelle Constitution, juste après l'Egypte, et a également formé son nouveau gouvernement dit «technocrate». Que pensez-vous de ces deux évènements ? Dr Sahel Makhlouf : Ce sont deux événements majeurs et extrêmement importants dans le cadre du processus de transition démocratique en Tunisie et cela pour trois raisons essentielles.La première, c'est la réussite de la classe politique tunisienne à élaborer un consensus politique national dépassant tous les clivages et toutes les dissensions pour éviter l'implosion de la Tunisie. La seconde est le repli à la fois tactique et stratégique du parti islamiste Ennahda. Je pense que ce parti a bien retenu la leçon égyptienne. Ceci relève aussi du pragmatisme et de la ruse politiques dont le leader de ce parti et idéologue de l'internationale islamiste, à savoir El Ghanouchi, manie si bien. La troisième est liée à cette ingénieuse idée de confier la gestion de cette phase intermédiaire de la transition démocratique à un exécutif technocrate qui peut être considéré comme un gage d'équité et de neutralité entre les forces politiques du pays qui vont se préparer pour les échéances électorales futures. Peut-on parler d'un nouveau départ politique pour la Tunisie ? C'est effectivement un nouvel élan pour ce pays qui peut donner également un nouveau souffle à la transition démocratique. Parce que l'adoption de cette nouvelle Constitution se situe comme une étape cruciale du fait qu'elle est l'émanation d'une dynamique politique consensuelle et devrait à mon sens constituer une assise indispensable pour l'achèvement de la transition sur des bases solides et durables. L'élaboration et l'adoption de la nouvelle Constitution ont pris plus de 2 ans pour l'ANC. Comment peut-on expliquer ce retard ? C'est tout à fait normal pour une assemblée constituante composée par des acteurs politiques diamétralement et idéologiquement opposés et qui aspirent à imposer leurs principes et idées. Par le dialogue politique positif, constructif, qui a comme finalité d'assurer la pérennité de la nation et de la patrie, les forces politiques tunisiennes ont pu trouver des solutions et des compromis. C'est cela qui importe le plus, pas seulement pour la Tunisie, mais pour toutes les situations politiques similaires. Des députés tunisiens ont qualifié la Tunisie, après ces deux évènements, d'exemple de démocratie. Soutenez-vous cette vision ? La question ne se pose pas sous cet angle parce que d'un point de vue de méthodologie politique et même polito-logique, il est très prématuré de parler d'exemple de démocratie. Il est plus concevable de parler d'un exemple dans l'élaboration d'un consensus politique ou d'un compromis politique historique nécessaire pour la marche vers la démocratie. L'histoire nous a appris que la démocratie ne se construit pas à la vitesse de la lumière, mais elle résulte d'un long et onéreux chemin.
La nouvelle composante du gouvernement tunisien est qualifiée d'indépendante. Pensez-vous qu'elle pourra asseoir les jalons d'une réelle démocratie ? L'idée de confier la gestion de cette étape de la transition à un gouvernement non partisan était une idée intelligente et habile. Cette caractéristique d'indépendance et de technocratie constitue un gage de neutralité structurellement nécessaire pour la suite de la transition démocratique en Tunisie.
Cette Constitution a-t-elle été élaborée pour plaire aux Occidentaux, comme le pensent certains partis et acteurs de la société civile tunisienne ? Cette lecture est adossée à une arrière-pensée purement idéologique, partisane et contreproductive, qui plus est antagonique avec ce consensus politique durement élaboré par la classe politique tunisienne. Il faut rappeler qu'en matière des droits de la femme, à titre d'exemple, la Tunisie avait déjà une avancée significative par rapport à beaucoup de pays arabes ou africains. Cette Constitution n'a pas été élaborée pour plaire aux Occidentaux, mais elle reflète plutôt une avancée consensuelle très importante émanant de la classe politique tunisienne elle-même. Il est naturellement primordial de le souligner.
Quel scénario possible pour l'avenir de la Tunisie, au vu de la réaction du parti islamiste Ettahrir qui a manifesté son opposition à cette Constitution ? Cette manifestation n'est pas une menace pour ce pays. En revanche, ce qui est à craindre pour l'avenir de la Tunisie, c'est la présence de l'extrémisme en tant que courant idéologique et sous la forme de mouvements terroristes actifs comme on a eu à le constater ces derniers mois. Le plus important défi réside dans ce que beaucoup de médias ont rapporté comme informations liées à ces jeunes Tunisiens qui sont partis en Syrie pour un pseudo djihad et dont le retour posera certainement un problème complexe pas seulement pour la Tunisie, mais pour toute la région.
La Tunisie a connu une révolution moins sanguinaire par rapport aux autres pays arabes. Comment expliquez-vous cela ? Ce sont trois pays, situations et sociétés complètement divergentes et différentes à tous points de vue. Certes, ces pays ont connu un changement dans la vie politique lié à cette dynamique globale que le monde arabe a vécue, mais les traits et les acteurs de ces dynamiques étaient différents entre ces trois pays. La Tunisie et l'Egypte n'ont pas connu une intervention militaire étrangère comme la Libye, ce qui a compliqué davantage la transition dans ce pays, dont la situation était déjà très complexe du fait de la nature singulière du régime de Kadhafi. Par ailleurs, les acteurs sociopolitiques ont joué leur rôle en Tunisie et en Egypte, chose que la Libye n'a pas connu parce que les structures tribales sont très influentes et les acteurs sociopolitiques inexistants. Pour au moins toutes ces raisons, les processus politiques de ces pays sont totalement différents.