Après avoir disparu de plusieurs villages de Kabylie, durant la décennie noire, Timechret, une fête villageoise organisée à l'occasion de grands évènements agraires, religieux notamment, revient au goût du jour ces dernières années. Conscients de la portée sociétale de cette tradition séculaire, plusieurs comités de villages et des associations culturelles de la wilaya de Tizi-Ouzou, ont décidé de la sortir de l'oubli et de la faire revivre à la faveur du recul du terrorisme, et à la grande joie des villageois notamment des vieux qui estiment que "cette fête qui renforce les liens de la communauté, ne doit pas être délaissée, car elle rappelle et enseigne les valeurs de la solidarité, du partage et du pardon". Parmi les villages qui ont décidé de faire renaître cette tradition, Sidi Ouareth dans le douar de Sidi Ali Bounab (commune de Tadmait), a décidé de relancer Timechret, abandonné durant les années 90, pour "reprendre cette vieille tradition qui assurait le maintien de l'organisation, de la cordialité et de la cohésion entre tous les villageois", selon les organisateurs. Mohamed, un septuagénaire se rappelle, avec nostalgie, le jour de Tawzaat dans son village, à Sidi Ali Bounab. Organisée le jour de l'Aïd El Fitr, cette fête était beaucoup plus un jour de retrouvailles. "Les familles qui composent le village et qui résident ailleurs, viennent de partout, des autres wilayas et même de l'étranger pour y prendre part. C'était alors l'occasion de revoir des proches et des amis qu'on n'a pas vu depuis longtemps", ajoute-t-il. Dans la wilaya de Tizi-Ouzou, la fête de l'Aïd El Fitr est une occasion pour plusieurs villages d'organiser une Timechret ou Tawzaat (le partage), un évènement, organisé par le comité de village et qui consacre la solidarité et le partage entre les villageois. Pour l'occasion, une quête est organisée parmi les villageois pour l'acquisition d'un ou plusieurs animaux (bœufs, veaux, ou moutons) à sacrifier. Selon les régions, la contribution peut se faire selon les moyens de chaque famille, ou concerner uniquement les familles riches. Dans certains cas, la bête sacrifiée est offerte par un riche du hameau. Le jour de l'Aïd, très tôt le matin, les hommes se réunissent dans la place du village et se chargent d'égorger les bêtes qui sont ensuite dépecées, une tâche épuisante mais qui se déroule dans une ambiance conviviale, festive et surtout de retrouvailles puisque Timechret est aussi l'occasion pour les enfants qui ont quitté le hameau de retrouver la terre natale. De leur côté, les femmes participent à cet évènement en préparant des beignets et un repas collectif, le traditionnel couscous aux légumes secs qui sera offert à midi aux hommes et aux enfants. Après le repas, la viande est répartie en plusieurs tas, en fonction du nombre des familles du village. Dans certains villages, à l'exemple de la région de Sidi Ali Bounab, la cérémonie du partage se pratique de manière traditionnelle. Chaque chef de famille découpe un petit bout de branche qu'il taille et décore de façon à le reconnaître ensuite. Ces branches appelées "Tisseqarin" sont ensuite mêlées et remises au sage du village qui les dépose sur le tas de viandes. Ce geste a pour souci de consacrer le partage équitable et d'éviter le sentiment d'être lésé, en choisissant de laisser le hasard indiquer la part de tout un chacun, même si on avait pris le soin de faire des parts presque identiques en qualité et en quantité. Le soir, le fumet de la viande qui cuit dans une sauce embaume le village. Au dîner, chaque famille (pauvre ou riche) se retrouve autour d'un repas, un délicieux couscous à la viande et aux légumes de saisons.