La mer n'est pas la chasse gardée du soleil, sinon le ressac serait d'une désespérante platitude. Et la mer trop plate pour être vraie. Elle est vent chaud ou froid, mistral gagnant ou tragique. Hier il n'a pas fait beau, des hommes et des femmes sont descendus vers la mer. Il a fait beau dans leur regard. Dans leurs yeux rieurs défiant les rafales et leurs paupières comme unique arme contre le naufrage. Hier, il n'y avait pas de soleil mais la mer était au rendez-vous. Quand il n'y aura plus rien, il y aura le bruit du ressac pour annoncer le recommencement. La mer, c'est très sérieux parce qu'elle ne se prend pas au sérieux. La mer c'est… différent parce que c'est la même. A Club des Pins, il y a une plage au sable fin pour clients du sérail prostatiques et au large des côtes espagnoles, la mort pour jeunes hommes pleins de vie ou prison pour desperados en quête de liberté. La mer est paradoxale : elle accepte sur ses rives les fortunes mal acquises et engloutit des embarcations de fortune mal foutues. La mer est généreuse, mais elle consent à se faire polluer par les riches et se faire nettoyer par les pauvres. Elle tue les pêcheurs de sardines et enrichit les trafiquants de crevettes royales. La mer est terrible, on s'y jette pour se rafraîchir ou pour se suicider. Elle a trouvé le moyen d'inspirer et Ernest Hemingway et Rabah Driassa. Sur ses criques isolées, on peut tomber sur un junky en manque ou un romantique résiduel. Un religieux venu renforcer sa foi ou un philosophe marxiste rongé par le reniement. La mer n'a pas les hontes homogènes. Elle a honte de Club des Pins et de Lampedusa. De Charm El Cheikh infestée de requins libidineux et des pêcheurs palestiniens rêvant de plateau continental. Du port d'Alger livré aux turbans, de la plage Toch livrée aux passeurs et de celle de Targa aux arrivages de cannabis. Elle s'accommode de la douleur humide des asthmatiques à la Pointe Pescade, du cauchemar architectural à Tichy et des nuits sans toit pour prostituées en déchéance organique à la Madrague. Il paraît que les cinq harraga algériens arrêtés par les garde-côtes espagnols au moment où ils tentaient de rejoindre une crique de Carboneras et au moment où s'achevaient les assises de la société civile sont tous en bonne santé. La santé, il y en a qui disent qu'ils n'en ont rien à faire et d'autres qui disent qu'ils en ont grandement besoin, pour les mêmes raisons. Depuis, ils ont été rapatriés dans leur pays d'origine. Ils veulent bien tenter le coup à partir de Club des Pins, mais ils n'y ont pas accès. On n'avait même pas parlé d'eux, aux assises. Mais parler au bord de la mer, ça ne les intéresses pas vraiment. Sauf quand il s'agit de pourparlers avec les passeurs. Ils n'ont pas honte, contrairement à la mer. Slimane Laouari