Rares sont les plaidoiries qui font rire à la fois le juge, le procureur, l'assistance et l'avocat lui-même. C'est ce spectacle peu singulier qui a eu lieu au tribunal de Bir Mourad Raïs. Se retrouver contrecarré par le client qu'il défend avec bravoure est la chose la plus inique qui puisse arriver à un avocat en début de carrière. Le parcours professionnel est bien souvent parsemé d'embûches et les moments d'embarras font partie des aléas du métier, mais se retrouver dans des situations aussi gênantes n'est le vœu d'aucun. L'audience était très particulière non pas par la nature de l'affaire ou les parties opposées, mais par la manière dont la plaidoirie s'est déroulée. Prendre la défense d'une personne inculpée sans demander en contrepartie quoi que se soit est un geste très noble. Malheureusement, les conséquences sont inscrites en faux avec les attentes de cet avocat qui n'a pas pris le soin de rencontrer son client placé en détention préventive. Pourtant, avec une certaine lucidité, le client peut obtenir des circonstances atténuantes car les charges retenues ne pèsent pas très lourd sur le sort de ce délinquant. Détention d'une petite quantité de drogue et vol d'un portable dans un lieu commun n'est pas une affaire compliquée pour cet avocat qui semblait bien maîtriser son domaine. Parfois, ce sont les simples affaires qui font des grimaces pour ceux qui ne savent pas les décortiquer. Plein d'enthousiasme, l'avocat n'a même pas pris la peine de reporter l'audience pour au moins s'entendre avec son client sur la manière d'agir lors de l'audience. L'avocat de l'inculpé a présenté son client qui a nié catégoriquement les charges retenues contre lui, comme étant victime des conditions déplorables dans lesquelles il vit. Néanmoins, il a oublié de mettre l'accent sur un point essentiel, à savoir que l'inculpé est avant tout victime de son ignorance. Son visage exprimait les peines endurées depuis l'enfance même si sa biographie n'avait pas été mise en exergue lors de l'audience. Comparaissant pour la première fois devant le tribunal pénal, le jeune délinquant a contesté le rapport présenté par la police. «C'est pour la première fois qu'on vous juge, il vaut mieux dire la vérité», insista la juge, accoutumée à ce genre de réaction de la part des inculpés. «Non, madame la présidente, je n'ai pas volé de portable et les agents de police n'ont pas trouvé de drogue quand ils m'ont fouillé. Ils m'ont forcé à signer le PV», a-t-il déclaré. La juge, qui cherchait désespérément la confirmation des propos rapportés dans le PV, se retourne vers l'avocat de la défense. «Vous pouvez commencer maître», lui a-t-elle ordonné. L'avocat qui s'était porté volontaire afin d'aider le délinquant à se sortir du pétrin prit la parole : «Merci madame la présidente de m'avoir permis de vous apporter quelques détails sur cette affaire. Avant de revenir sur les charges retenues, je tiens à vous préciser que mon client est réellement consommateur de drogue, car la vie ne l'a pas gâté. C'est un délinquant, un SDF. C'est d'ailleurs dans un cimetière que les agents de police l'ont cueilli. C'est son seul refuge la nuit venue. Il partage sa vie avec les morts. Il est chômeur, sans famille et sans domicile, qu'attendez-vous d'une personne qui a subi toutes les formes de frustration dès son jeune âge», a-t-il plaidé. Et d'ajouter : «Il a volé un portable parce qu'il avait faim. Il n'avait pas de quoi se nourrir. Il est lui est arrivé de rester des jours sans rien manger. Prenant compte de ces conditions de vie, je vous sollicite madame la présidente de lui accorder les circonstances atténuantes car il a besoin d'être soigné. Sa place est à l'hôpital et non pas en prison.» La juge, qui a apprécié la plaidoirie, a remercié l'avocat. Se tournant de nouveau vers l'inculpé : «Votre avocat reconnaît que vous êtes consommateur de drogue et voleur de portable, avez-vous quelque chose à rajouter», demanda-t-elle. «Je ne suis pas coupable», répliqua-t-il. La plaidoirie était pourtant lucide, mais devant le refus de l'inculpé d'assumer ses actes, la juge, qui regardait le procureur avec un sourire en coin, demanda à l'avocat s'il avait déjà rencontré son client. L'avocat rougit jusqu'aux oreilles. Il avoua qu'il n'avait pas eu le temps de le voir en prison, ce qui fit éclater de rire l'assistance. La juge, qui n'a pas cessé de rire, reporta l'audience en déclarant à l'avocat de la défense : «De toutes les façons, la prison est mieux que le cimetière. La justice va lui offrir un abri et de la nourriture.»