Abdelaziz Belkhadem et Ahmed Ouyahia ont certainement des choses à partager, mais ils ne se ressemblent pas du tout. Ils n'ont ni le même profil ni le même parcours, ni le même tempérament. Sombre instituteur sans états de services, Abdelaziz Belkhadem doit son ascension à la persévérance du client-militant qui a intégré tout l'arsenal du parfait apparatchik. Il a appris la langue de bois comme d'autres ont appris le Coran et il a su se faire petit quand le vent soufflait dans l'autre sens. Il a su se contenter du minimum vital et nourrir les plus folles ambitions. Il a dû ronger son frein dans un coin et plastronner sous tous les projecteurs. Il a caressé dans le sens du poil et haussé le ton face à l'ennemi imaginaire. Il a pu manœuvrer et encaisser. Il s'est même préparé à quitter le bateau du sérail quand les vagues devenaient trop menaçantes. Ses disponibilités «historiques» à la désertion sont connues et le sérail le lui rendait bien. On n'a jamais été rassurant à son endroit et c'est sans doute ce qui lui a manqué le plus. Terrible handicap pour ce type de carrière. Un handicap qui ne lui a jamais permis d'envisager son ambition dans la chaleur d'un foyer protecteur. D'où sa fragilité chronique. A chaque fois qu'il a eu à traverser une zone de turbulences, il se sentait plus proche de la fin de mission que du rebondissement. Et s'il a toujours rebondi jusque-là, il ne s'est pas pour autant installé dans la quiétude que d'aucuns lui prêtent. Comme il sait les limites de sa capacité à l'émancipation qui lui permettrait de voler de ses propres ailes, il encaisse encore, attend et voit venir, comme toujours. Et en la circonstance, les choses sérieuses semblent avoir commencé pour lui. Sauf que, bien plus informé et roublard que les «observateurs» qui tirent des plans sur la comète, il veut un plan balistique plus précis avant l'esquive ou le passage à l'offensive, à moins que ce ne soit au baroud d'honneur. Ahmed Ouyahia est plutôt son contraire que son alter ego. Enarque au brillant cursus, il a puisé son ambition précoce dans son profil de premier de la classe. Rapidement coopté pour un grand destin, il n'a jamais envisagé son avenir en dehors de la bienveillance d'un «système» à qui il le rendait bien en acceptant toutes les missions qu'on lui confiait, avec en plus des dispositions technocratiques bien plus consistantes que celles d'un apparatchik ordinaire. Il a donc naturellement gravi les échelons. Du haut fonctionnariat à la consécration comme Premier ministre, en passant par le maroquin prestigieux des Affaires étrangères, il a fait un sans-faute dans ce qui était attendu de lui. Zèle ou mérite de la clarté, il n'a pas hésité à se définir comme un «enfant du système» et il l'a souvent montré sur le terrain des opérations où il n'a pas rechigné à aller au charbon. Y compris quand cela s'apparentait au suicide politique, puisque tout le monde retient aujourd'hui qu'il a été derrière les mesures les plus impopulaires des deux dernières décennies. Arrivé à la tête du RND à un moment particulièrement turbulent, il s'est révélé comme un vrai chef. Sans faire l'unanimité pourtant, il a dirigé le parti sans grands encombres, et dans la foulée, il a su surmonter son handicap réel ou supposé de l'inconsistance politique. Aujourd'hui parvenu au niveau d'ambition que supposent et son parcours et… le calendrier, c'est naturellement que ses détracteurs enfourchent à nouveau une monture un moment laissée au repos. Et c'est à ce carrefour précis qu'il retrouve Abdelaziz Belkhadem, à la différence que les deux hommes ne sont pas vraiment dans la même posture. D'abord parce qu'il n'est pas évident que le chef contesté du FLN ait les mêmes ambitions, ensuite parce que l'épaisseur de la contestation intra-muros n'est pas la même dans les deux partis. Et ce qui fait encore plus – ou mieux – la différence, Ahmed Ouyahia semble avoir pris les devants dans l'action, pendant que l'autre subit encore, en voyant venir. Ils ont en commun des rendez-vous organiques qui peuvent être déterminants, mais pendant que tiédissent les clameurs anti-Ouyahia faute de lisibilité et d'engagement franc, s'accentuent la pression et l'enthousiasme pour la destitution de Belkhadem. Ceux qui ont trop vite lié le destin des deux hommes en ce moment précis ont peut-être tout faux. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.