2013 sera l'année de la réforme de la Constitution, clé de la présidentielle prévue pour l'an prochain. Quelles que soient les décisions prises – révision du nombre ou des années de mandat ou création d'une vice-présidence –, cette réforme n'obéit qu'à une situation d'urgence. Elle doit répondre à l'état de santé du Président et aux impératifs d'une transition. Acte I d'une course à la Présidence montée de toutes pièces. La démission du secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, annoncée hier, augure de ce que sera l'«année politique» 2013. Une année ponctuée de vraies rumeurs et de faux coups de théâtre pour pimenter une course à la présidentielle que balisera la réforme de la Constitution. Alors que l'ancien Premier ministre présente son retrait comme «une initiative personnelle» suite aux «dissensions à l'intérieur du conseil national dont la raison apparente» serait «ma présence personnelle» au poste de secrétaire général, difficile de ne pas y voir une mise à l'écart décidée plus haut. Car Ahmed Ouyahia, 61 ans, ne cachait pas ses ambitions : «La présidentielle est une rencontre entre un homme et son destin», avait-il déclaré en juin 2012 dans un message subliminal paraphrasant Giscard d'Estaing, ancien président français. Les intouchables Sa tête pourrait être la première à tomber parmi les historiques jusque-là intouchables qui se voient déjà candidats à la magistrature suprême : Bouguerra Soltani, interpellé par les cadres du MSP qui veulent comprendre la raclée reçue aux dernières élections locales, et surtout le patron du FLN, Abdelaziz Belkhadem, secoué comme l'était Ouyahia par un virulent mouvement de contestation mené par la «vieille garde éclairée» du parti. Dans la course qui se prépare, le système a besoin de candidats moins «répulsifs» comme l'explique un ancien haut cadre de l'Etat. «Ouyahia et Belkhadem incarnent tout ce qui dégoûte la classe moyenne algérienne (les échelons intermédiaires des administrations centrales, de l'enseignement supérieur, de l'armée, ndlr). Or, c'est elle qui fait tourner le pays.» Le grand problème d'Abdelaziz Belkhadem, 68 ans, est son manque de popularité dans tous les cercles. «Pour l'élite qui adule Hamrouche, Belkhadem incarne le chef de file des barbéfélènistes, c'est-à-dire la frange conservatrice et islamisante de l'ex-parti unique et, pour le commun des Algériens, il reste le leader du FLN prédateur, relève un ministre. L'armée, la dure, ne voudra jamais de lui, d'un président qui se prend pour un Tourabi algérien, débarqué à son insu de la présidence de l'APN en 1992 et qui a failli se faire poursuivre pour intelligence avec l'ennemi lorsqu'il rendait des visites suspectes aux ambassades iranienne et saoudienne en plein affrontement avec le FIS.» «el mesmoum» En parlant d'ennemi, le sien sur le terrain idéologique, le laïc et éradicateur Ahmed Ouyahia, cumule aussi les handicaps. «El mesmoum» (le méchant) comme le surnomment ses détracteurs, incarne «l'homme des sales besognes», selon ses propres termes. Celui qui augmente les impôts, dissout les entreprises parce que le FMI le demande et emprisonne les cadres. Il s'est aussi mis à dos le patronat et les cercles économiques étrangers, qui se méfient de ce souverainiste ombrageux, assez rigide sur les monopoles de l'Etat et le partenariat extérieur. «Bouteflika a été très malin en gardant Ouyahia comme Premier ministre, confie un homme de sa garde. Il le chargeait, au niveau de l'opinion publique, de toutes les tares de la gestion gouvernementale. Ouyahia s'est retrouvé otage de cette situation, neutralisé, incapable de gérer sa carrière politique en tant que candidat présidentiel.» Des atouts, il en avait pourtant quelques-uns : une longue carrière dans les arcanes de l'Etat, une réputation de bosseur et de fin négociateur (en tant que diplomate, il mena les négociations lors de la crise entre l'Ethiopie et l'Erythrée et au Nord-Mali au début des années 1990). Et surtout «Ahmadou», surnom dont l'affublent ses amis, peut compter sur l'appui d'une bonne partie de l'aile dure de l'armée. Mais dans la balance, cela ne pèsera pas suffisamment. «Comme Belkhadem, Ouyahia a réussi à mettre Bouteflika, qui ne l'aimait déjà pas beaucoup, en colère par ses attaques franches contre le cercle présidentiel en parlant de l'argent sale qui gouverne le pays, constate un cadre du parti. Quant au patron du FLN, il a semé la zizanie dans le parti, dont Bouteflika est le président d'honneur, en y faisant entrer l'argent sale !» Si son état de santé le lui permet, le candidat le plus probable pour 2014 reste encore et toujours... Tab djnanou Abdelaziz Bouteflika. A 76 ans, l'imperturbable chef d'Etat a bien laissé entendre en mars dernier, lors d'un discours à Sétif, qu'il était temps pour sa «génération» (comprendre celle qui a fait la guerre d'indépendance) de «céder la place» et de «passer le relais à la jeunesse». Son «Djili tab djnanou, tab djnanou» (ma génération est finie) est d'ailleurs devenu un leitmotiv sur les réseaux sociaux. Sauf si la phrase a été mal comprise et signifiait en réalité «le fruit est mûr, il est tant de le manger», avance malicieusement un ancien haut cadre de l'Etat. Le Président pourrait vouloir se retirer, fatigué, mais «ce n'est pas lui qui décide. L'homme, face au système, n'est rien», poursuit-il. Dans les sphères du pouvoir, tout le monde croit à un quatrième mandat, accepté par défaut par le directeur du renseignement et de la sécurité et «approuvé par l'extérieur», assure-t-on chez ses proches comme chez ses détracteurs. Comprendre : par les Américains et par les Français. «Les Américains et les Français lui sont reconnaissants d'être un des rares dirigeants dans la région à avoir assuré la stabilité du pays et à avoir su maintenir des garde-fous contre les islamistes pendant que le Monde arabe basculait», reconnaît un haut cadre de l'Etat. A la nuance près qu'Américains et Européens ne partageraient pas le même sens de la stabilité. «Pour le vieux continent, la stabilité est un objectif à atteindre à long terme, il ne peut passer que par une transition démocratique, quitte à supporter un ou deux ans d'instabilité, explique un diplomate. Les premiers considèrent quant à eux que la transition est trop dangereuse et que le maintien de l'homme, quel qu'il soit, prévaut. Dans un cas comme dans l'autre, Bouteflika est à leurs yeux l'homme de la situation. Au mieux, il passera le relais à un autre.» En l'occurrence, «l'autre» pourrait être ce vice-Président que les bruits de couloirs annoncent comme la mesure phare de la nouvelle Constitution. Le technocrate Celui qu'on préparerait en coulisses pour cette mission : Abdelmalek Sellal. Le jovial énarque, présenté comme le sauveur des années de plomb d'Ahmed Ouyahia, cumule les atouts. Jeune (il a 65 ans), le capital sympathie que lui attribuent la presse, les chancelleries, les entrepreneurs… est sans limites. «Depuis que Sellal a été choisi comme Premier ministre, on peine à croire que cette nomination n'a rien à voir avec l'échéance de 2014, note un député FLN. On se retrouve avec un Exécutif technocrate, fruit d'un parfait consensus entre les deux pôles décideurs – Présidence et DRS – dont le seul plan de charge consiste à “stabiliser” le pays : promesse de dialogue avec les syndicats, vastes programmes de construction de logements, suppression de plusieurs taxes, discours sur la réhabilitation du service public... Tout cela ressemble fort à une préparation, dans le calme, d'une transition ou d'une perpétuation du statu quo.» Sellal ne traîne apparemment aucune casserole et s'est sorti de son secteur des Ressources en eau avec un bilan honorable. «Plus intelligent que Ouyahia et Rahmani, il n'est pas seulement rusé, souligne un connaisseur du système, il est capable de créer de l'emploi sans freiner la prébende.» Reste que, dans les starting-blocks, il faudra bien placer quelques concurrents à Abdelaziz Bouteflika. Prétendants De vives discussions seraient menées au sein de l'armée et de la Présidence sur le choix du successeur mais aussi sur les orientations stratégiques de l'Algérie. Sur la ligne de départ, s'alignent pour l'instant, en plus du Président sortant, deux autres prétendants sérieux. Candidat malheureux en 2004 contre son propre mentor Bouteflika, Ali Benflis, 69 ans, reviendrait en course. Seul ministre de la Justice à avoir démissionné depuis 1962 pour protester contre les cours spéciales et la justice expéditive pendant la décennie noire, membre fondateur de la Ligue algérienne des droits de l'homme, Benflis incarne une Algérie «jeune», juste et propre. Originaire de Batna, il signerait le retour des hommes de l'Est – la terre de 80% du commandement de l'armée – au palais d'El Mouradia. Ses points faibles : absent depuis longtemps de la scène publique, l'homme manque de couleur et surtout ne s'appuie sur aucun appareil politique depuis que Belkhadem lui a spolié le FLN après les élections de 2004, même s'il garde de nombreuses sympathies à l'intérieur du parti. L'autre gros enjeu de la course, c'est la sortie des bois de Mouloud Hamrouche, 70 ans, difficile à faire revenir. Le Premier ministre réformateur de la fin des années 1980, dont l'élite de gauche attend en soupirant le retour en grâce. «C'est un peu le “réserviste” qui attend le OK de l'armée, confie un de ses proches. Mais une bonne partie de cette armée se méfie de lui, l'accusant d'avoir voulu jouer le jeu politique du FIS en 1989/90. Mieux que Benflis, Hamrouche, chef du protocole sous Boumediène et Chadli, ancien lieutenant-colonel, est un fin connaisseur des rouages du système.» Clones Aussi candidat à la Présidence en 1999, il bénéficie de réseaux au sein de la «vieille garde éclairée du FLN». D'ailleurs, Hamrouche serait le candidat idéal du FFS et du FLN en 2014, une entente qui aurait conditionné la participation du FFS aux dernières élections législatives après une longue période de boycott. Problème : ces deux candidats potentiels n'entreront dans la course que s'ils ont des garanties sur la transparence des élections ou s'ils trouvent des assurances «ailleurs». Enfin, la course à la présidentielle ne pourrait être sans une autre grosse ficelle de la scène politique nationale : la création d'une fausse bipolarisation de la scène politique entre «islamistes» et «démocrates». Cela dans le but, selon un ancien cadre de l'armée, de «donner l'impression qu'il existe un véritable débat, mais aussi de neutraliser les véritables forces des deux bords qui tentent de se faire une place au soleil. On retombe dans le schéma des années 1990, quand le système créait le RCD et le MSP pour neutraliser le FFS et le FIS.» Des semblants d'opposants, dociles et faciles à faire chanter. La version 2012 de ces clones ? Le TAJ incarné par Amar Ghoul, le pseudo-islamiste ; le MPA par Amara Benyounès, le pseudo-démocrate. «La nouveauté de cette formule, c'est qu'ils ne sont que la même face d'une même médaille, celle de l'argent, souligne un cadre du FLN. Les deux se trouvent au carrefour d'intérêts publics et privés. Ils peuvent donner l'impression d'avoir les moyens de mener campagne, mais préfigurent une scène politique vidée d'idées et d'idéologies, dopée aux pétrodinars.» 2014 est encore loin, mais le cahier des charges du prochain Président – le premier à ne pas pouvoir prétendre à la légitimité révolutionnaire dans le cas où le Président ne se représenterait pas – est clair : il devra préserver les intérêts de toutes les parties et incarner un consensus, comme Bouteflika en 1999, et donner l'illusion de remporter une élection ouverte. Ou comment faire de la politique en l'absence de vie politique.