Le 8 Mai 1945, jour de la capitulation allemande, les Algériens indigènes sont autorisés à fêter la victoire des Alliés sur les forces de l'Axe. Dans plusieurs grandes villes d'Algérie, c'est l'effervescence. L'agitation est à son comble à Sétif, ville où les dirigeants des partis nationalistes, encore interdits, avaient décidé d'organiser une marche pacifique à l'issue de laquelle sera déposée une gerbe de fleurs au pied du monument aux morts. Le sous-préfet Butterlin, qui avait convoqué auparavant les principaux organisateurs de la marche, Si Mahmoud Guenifi et Hocine Touabti, entre autres, les avertit de n'arborer aucune bannière rappelant la revendication indépendantiste et d'éviter de porter des armes. Surtout, il leur recommande de ne pas faire défiler les scouts musulmans auxquels avait échu l'honneur de porter la gerbe de fleurs. Tôt le matin, des centaines d'Algériens musulmans se rassemblent près de la mosquée de la gare d'où devait démarrer le cortège vers le monument aux morts. Au fur et à mesure que le cortège avançait, la foule grossissait, atteignant, selon les témoins, entre 7000 et 8000 personnes, chiffre énorme considérant la population de l'époque. Au cœur du quartier européen, un jeune marcheur de 20 ans, Aïssa Cherraga, exhibe un drapeau, celui-là même qui deviendra, plus tard, l'emblème national. Des policiers lui intiment l'ordre de le baisser. Le jeune refuse d'obtempérer. Excédé, le commissaire Olivieri et ses sicaires tirent, mais c'est Saâd Bouzid, venu à la rescousse de Aïssa, qui recevra le coup mortel. Le maire de Sétif, Edouard Deluca, qui tenta de s'interposer, est abattu à son tour. S'ensuit alors une fusillade et la confusion générale. Les marcheurs s'enfuient à travers les rues de la ville, certains s'attaquent aux Européens qu'ils trouvent sur leur passage. La nouvelle se propage à travers les quartiers arabes et dans les douars alentours, alimentant la rancœur des indigènes qui s'attaqueront alors aux fermiers et à leurs biens. L'historien Charles Robert Ageron parlera de 102 morts du côté européen et de 135 fermes brûlés. Sans commune mesure avec le carnage qui s'en suivra et qui durera plusieurs jours. Le 9 mai 1945, sur ordre du sous-préfet Butterlin, le général Duval fait intervenir ses hommes depuis Sétif, puis dans le reste du département de Constantine. Tous les corps d'amée sont mis à contribution : bombardements aériens, navals et ratissage feront des milliers de morts parmi la population algérienne. Les militaires étaient appuyées par la police et les milices qui avaient ordre de tirer sur tout ce qui bouge. Ainsi, femmes, enfants, vieillards seront froidement exécutés, leurs maisons brûlées, leur bétail abattu, leurs récoltes saccagées. A Kherrata, des centaines de personnes seront jetées du haut des gorges du même nom. A Guelma, où toute manifestation indigène pour la fête de l'armistice avait été interdite, les autorités sont surprises par le rassemblement, dans l'après-midi du 8 mai, de près de 2000 Algériens brandissant l'emblème frappé du croissant et de l'étoile. André Achiary, le sous-préfet, fait intervenir sa milice, forte de plusieurs centaines d'hommes. Pourvus par l'armée en fusils de guerre, les miliciens feront un carnage. On leur attribue l'assassinat de près de 3000 Algériens. A Bône, et Blida aussi, on a tiré sans sommation sur la foule, à la première apparition d'un drapeau algérien. La chasse à l'Arabe durera 6 longues semaines au cours desquelles les forces armées coloniales feront la démonstration d'une incroyable sauvagerie. Mais la propagande fera tout pour minimiser le carnage. La Marine de guerre de l'occupant avança le chiffre ridicule de… 4 morts, tandis que le ministre de l'Intérieur, dans un discours prononcé le 18 juillet 1945, devant le Parlement, évoquera quelque 1500 morts. Dans son rapport du 9 août 1945, le général Duval affirme qu'il avait eu 550 «musulmans présumés tués» au cours de l'action de l'armée dans la subdivision de Sétif, et 200 dans celle de Bône. Or, relève des analystes, le seul escadron de la garde républicaine, qui est entré en action le premier à Kherrata et Perigotville les 8 et 9 mai, et qui a poursuivi son action à Pascal, Colbert et Saint Arnaud, donne dans son journal de marche plus de 470 tués, dont 200 à Kherrata. Au même titre que ses précédents crimes envers le peuple algérien, la France officielle est demeurée muette sur les événements tragiques du 8 mai 1945. Les alliés aussi auraient pu, à défaut d'imposer l'indépendance de l'Algérie à la France, arrêter au moins la folie meurtrière de l'occupant colonial.