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Daech et la propagande hollywoodienne vus par la zaouia Tidjania
Le soufisme face aux discours radicaux
Publié dans Le Temps d'Algérie le 11 - 03 - 2015

Comment expliquer l'abandon par de nombreux jeunes de l'Islam vrai, tolérant et de paix, au bénéfice du radicalisme et de l'extrémisme ? Par quels subterfuges l'organisation terroriste autoproclamée Etat Islamique (EI/Daech) réussit-elle à embrigader des jeunes de différentes nationalités ?
Rencontré au siège de la zaouia Tidjania de Guemar, dans la wilaya d'El Oued, le cheikh Tidjani Ahmed Laroussi tire la sonnette d'alarme et cite des faits et références remontant à plusieurs siècles pour faire la lumière sur cette situation.
Dans un passé très récent, la zaouia Tidjania de Guemar, dans la wilaya d'El Oued, connue au niveau international et recevant des fidèles de plusieurs pays - Algériens, Libyens, Tunisiens et Soudanais - disposait d'une importante audience populaire.
Cette zaouia fondée en 1789 et qui compte aujourd'hui 300 millions d'adhérents dans le monde, subit toutefois la déferlante Daech et les idées obscurantistes de cette organisation terroriste, très rentables financièrement pour ceux qui y adhérent.
«C'est le déclin». C'est le terme utilisé par cheikh Tidjani Ahmed Laroussi pour évaluer l'adhésion actuelle à cette zaouia en particulier, et le courant qu'elle représente en général.
L'apparition de Daech et du discours radical ne sont pas étrangers à cette situation, explique-t-il. «Le soufisme (auquel appartient le courant de la Tidjania) s'inspire de la vie du Prophète (QSSSL) et de quatre de ses compagnons», nous dira le cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
Contrairement à Daech qui a totalement dévié des préceptes de l'Islam et du comportement du Prophète (QSSSL).
«Même quand ils étaient impies, les Arabes des tribus de Qoreich avaient des valeurs. Quand ils complotaient pour assassiner le prophète Mohamed (QSSSL) chez lui, plusieurs de ceux qui allaient perpétrer cet assassinat avaient dit : on ne peut pas violer le domicile d'une personne», nous dira le cheikh Tidjani Ahmed Laroussi, initiateur à la zaouia Tidjania de Guemar.
L'allusion est faite à l'organisation terroriste Daech qui occupe des villes, viole des domiciles et perpétue des massacres collectifs.
«Comme dans tous les autres domaines de la vie, la lutte entre les courants de pensée a toujours existé. Dieu a toujours incité à la justice et le bien. La concurrence dans le commerce permet de réduire les prix. La concurrence entre producteurs permet d'améliorer la qualité du produit, et la lutte entre les différents courants de pensée permet de corriger les erreurs et de rectifier quand il y a égarement. Tout ça doit rester dans la légalité et dans la conformité de la loi divine quand il s'agit de courants de pensée religieux», ajoute cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
L'organisation terroriste dirigée par un homme présenté comme «Abou Bakr El Baghdadi» autoproclamé «calife» de Daech ne peut pas être érigé comme «un courant de pensée concurrent» puisque totalement déviant de la loi divine, des préceptes de l'Islam et du comportement du prophète Mohamed (QSSSL).
«La diversité est admise, à condition qu'il y ait tolérance», explique cheikh Tidjani Ahmed Laroussi. En condamnant à mort tout auteur de contradiction à ses idées radicales et extrémistes, Daech s'exclut de ce cadre et dévie totalement des vraies valeurs de l'Islam.
«La société n'est pas la même en Inde et en Egypte et c'est ça qui fait la force de l'Islam, la diversité. Je trouve que c'est bien qu'il y ait deux écoles qui coexistent pour que chacune corrige l'autre quand elle faute. Je ne fais pas la sourde oreille, je prends mon épée pour tuer», ajoute cheikh Tidjani Ahmed Laroussi, faisant allusion à Daech qui refuse la tolérance et la diversité et qui assassine toute personne ne partageant pas ses idées.
«Vous savez, La Mecque a quatre facettes et chacun des courants de pensée accomplit la prière en face de l'une de ces facettes. C'est pour vous dire que l'Islam tolère la diversité, contrairement à Daech», dira ce cheikh de la zaouia Tidjania de Guemar, dans la wilaya d'El Oued.
«114 000 prophètes et 360 messagers ont été envoyés par Dieu pour l'humanité. Dieu prône la justice et le bien. L'Islam, c'est une sincérité envers Dieu. Etre sincère envers notre créateur c'est également ne pas dévier de la loi et ne pas attenter à la vie des innocents quelle que soit leur appartenance religieuse.

Les méfaits du wahhabisme

Au cours de notre rencontre à la zaouia Tidjania de Guemar, Cheikh Tidjani Ahmed Laroussi évoque le wahhabisme et les méfaits causés par ce courant, notamment en Algérie.
«Le courant wahhabite est né en 1807, créé par Ibn Taymiya et Ibn Biziya. Le fondateur de ce courant dit que tous ceux qui ne sont pas d'accord avec lui sont à condamner. C'est l'intolérance totale. Les adeptes de ce courant interdisent toute chose qu'ils ne connaissent pas. Ils ne font aucun effort pour tenter de savoir si telle chose est licite en Islam ou non.
Ils préfèrent l'interdire, carrément, dans leur totale intolérance. Ce courant qui a également sévi en Algérie a déclaré «impies» le chiisme et le soufisme», nous dira cheikh Tidjani Ahmed Laroussi, dénonçant ce courant et ses idées extrémistes.
Le chiisme était d'abord un courant politique qui, pour échapper au joug arabe et turc, s'est doté d'une arme religieuse. Ce courant n'est pas ce que dit de lui le wahhabisme», ajoute cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
«Il est vrai qu'ils ont amené l'Islam en Afrique du Nord où ils ont trouvé une farouche résistance des Berbères, mais ils ont fauté en leur imposant la taxe aux impôts. Cette taxe ne doit, en Islam, être imposée en terre musulmane qu'aux communautés non musulmanes, tandis que les Berbères d'Afrique du Nord sont devenus musulmans.
Cette taxe ne devait donc pas leur être imposée. Les Berbères devaient normalement être émancipés dans l'écosystème politique, à l'époque, et non considérés comme non musulmans», dira Tidjani Ahmed Laroussi.

Les méthodes de Daech existaient déjà en l'an 661
Pour ce cheikh de la zaouia Tidjania de Guemar, dans la wilaya d'El Oued, «les méthodes de Daech existaient déjà en l'an 661. Le fils de Mouawiya avait, en l'an 661, je crois, décapité Hussein Ibn Ali et soixante-dix autres personnes.
Les têtes des personnes décapitées avaient été mises sur des piquets et déplacées. Ce sont des méthodes de Daech aujourd'hui. C'est l'esprit de Daech», nous dira ce cheikh de zaouia.
«C'est l'intolérance et la fausse interprétation de l'Islam qui expliquent les crimes perpétrés aujourd'hui par Daech», ajoute-t-il. «C'est le système de valeurs de plus en plus matérialiste qui favorise également cette situation.
Au terme de la première et Seconde Guerre mondiale, le monde s'est divisé en deux : le système communiste dur de Marx et Lénine, et le capitalisme sauvage. Cette confrontation a donné lieu à un monde de plus en plus matérialiste.
L'histoire retiendra que cela a participé à la matérialisation du monde, où les valeurs se basent, désormais, sur l'aspect matériel et l'argent. Cela a influé sur les religions et l'argent a changé les valeurs», explique cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
C'est en exploitant ce matérialisme que Daech recrute et renforce ses effectifs, puisant ses ressources financières en vendant le pétrole de villes irakiennes et syriennes occupées par cette organisation terroriste. Les organisations terroristes se financent également par les rançons payées en contrepartie de la libération d'otages.

Daech et la propagande hollywoodienne

Pourquoi le courant soufi auquel appartient la méthode Tidjania est-il en déclin, tandis que Daech gagne du terrain ? «C'est l'argent et l' influence de l'aspect matériel qui entrent en jeu», explique cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
«Notre zaouia a des moyens financiers et matériels limités, tandis que Daech dispose de moyens colossaux. Ce n'est pas pour rien que cette organisation présente ses éléments en uniforme et de forte corpulence physique. Il s'agit d'une propagande qui ressemble à celle d'Hollywood et ça a de l'influence chez les jeunes», d'après cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
«Dans sa propagande, Daech montre une organisation, des éléments vêtus de la même tenue, avec une forte corpulence physique. Ça fascine de nombreux jeunes qui fuient l'Islam de paix et de tolérance pour rallier une organisation donnant l'impression d'être bien organisée et riche, financièrement et matériellement, dans un monde devenu de plus matérialiste», dira encore ce cheikh de zaouia. «Par méconnaissance de leur religion, ces jeunes sont vulnérables aux discours radicaux et extrémistes», note-t-il.
Que faire pour mettre les jeunes à l'abri des discours radicaux ?» Il faut enseigner le Coran à l'école jusqu'à l'université, car nous avons des cadres qui ne sont pas connaisseurs en religion. L'enseignement du Coran et la connaissance de leur religion les mettra à l'abri de l'influence des discours radicaux», estime cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
La zaouia Tidjania, faisant partie du courant soufi, a été fondée en 1789 par Ahmed Tidjani (1737/ 1815). La gestion de cette zaouia est assurée de père en fils. Tidjani Ahmed Laroussi, membre de la confrérie, est l'un des descendants d'Ahmed Tidjani. Cette zaouia visitée par le président de la République en mars 2014 est composée de plusieurs infrastructures, dont une salle de conférences, un centre multimédia et une bibliothèque polyvalente.
Plongé régulièrement dans la lecture, Tidjani Ahmed Laroussi nous évoque les quatre jours d'études sur le courant soufi tenus en 1980 aux Etats-Unis d'Amérique auxquels ont participé des dizaines de chercheurs venus des quatre coins du monde. «Un livre a été publié au terme de ces quatre journées d'étude, comportant plusieurs chapitres», dira ce cheikh de zaouia.
«Le courant soufi existe depuis l'ère du prophète Mohamed (QSSSL). Ses repères sont le Coran et le comportement du prophète (QSSSL). La tarîqa c'est une voie spirituelle qui s'inspire toujours de la loi juridique religieuse», explique-t-il. «On ne peut pas voler et être soufiste», explique encore Tidjani Ahmed Laroussi.
Revenant sur ce qu'il qualifie de «déclin» du courant soufi, il dira que «toute civilisation ou philosophie connaît des hauts et des bas, en forme de courbe. Il y a renouvellement, et la trajectoire est parfois linéaire». «Abou Daouadi a dit que chaque 100 ans, Dieu apporte une nouvelle compréhension de la religion pour l'adapter à chaque ère et société», ajoute cheikh Tidjani Ahmed Laroussi.
Les organisations terroristes, dont Daech, se sont exclues de cette dynamique, puisque ne représentant nullement les valeurs de paix et de tolérance prônées par l'Islam.
Ce cheikh de zaouia localise la foi religieuse dans le cœur. «Ou on a un cœur pur ou on a un cœur dur», résume-t-il.
De nos envoyés spéciaux
à El Oued, Mounir Abi


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