Le gouvernement du président Mariano Rajoy a décidé d'introduire pas moins de 90 amendements au code pénal pour criminaliser les consultations des sites web des organisations terroristes. Grâce à la majorité absolue dont il dispose au Congrès des députés, le Pari populaire (PP), au pouvoir depuis novembre 2011, a pris une décision qui est loin de faire l'unanimité au sein de l'opposition. Les partis de gauche, à leur tête le Psoe (socialiste), sont hostiles à une telle initiative qui est, à leurs yeux, «de nature à fragiliser les droits fondamentaux des citoyens». C'est d'ailleurs pour cette raison que le PP n'a pas voulu aller vers un pacte avec le Psoe, la principale force d'opposition, pour amender le code pénal. L'Espagne vit, surtout en cette période de fêtes de fin d'année, à l'instar d'ailleurs de la plupart des pays européens voisins, une véritable psychose du terrorisme, plus effrayante encore que durant l'ère de l'ETA qui mettait des bombes de préférence la veille de Noël dans les supermarchés. Même si le niveau d'alerte n'a pas été élevé à son maximum, il n'en demeure pas moins que la police et la gendarmerie sont sur le qui-vive depuis des mois. C'est-à-dire que le phénomène de captation des candidats pour le djihad en Syrie et en Irak a pris de l'ampleur, non seulement à Ceuta et Melilla, fief des radicaux qui rêvent de reconquérir l'Andalousie, mais aussi dans les grandes villes de Madrid et de Barcelone. L'outil internet est, de l'avis des spécialistes de la question du terrorisme djihadiste, le moyen le plus efficace pour le recrutement des candidats pour l'Irak et la Syrie. Des Marocains et des Espagnols parmi les terroristes Récemment, une douzaine de jeunes marocains de nationalité espagnole, mais aussi des convertis à l'Islam, a pu être endoctrinée puis recrutée et formée au djihad grâce à ce canal. La plupart des personnes qui ont été arrêtées, ce mois de décembre, dont quatre jeunes filles, ont avoué aux enquêteurs consulter régulièrement les pages web d'Aqmi et de Daech (Etat khalifat). C'est ce qui complique la tâche de la police qui centrait son attention jusque-là sur les lieux de culte comme la principale Mosquée de Madrid où sa cafétéria était le lieu privilégié où se faisaient les rencontres. Outre son caractère, considéré par les organisations civiles et les avocats d'«abusif» en matière de liberté d'opinion dans un Etat de droit, la criminalisation de l'accès aux pages web des fondamentalistes risque d'être inapplicable d'un point de vue pratique. Les services spécialisés dans la cybercriminalité peuvent-ils décourager l'accès massif de jeunes à des sites d'information qui se multiplient et changent constamment d'adresse ? Rien n'est moins évident pour ce spécialiste de la communication, Marcos V. Cañete. «Le gouvernement ne doit pas se laisser prendre au piège de l'interdit tous azimuts dans l'espoir de décourager l'accès aux sites de Daech en cédant au comportement de panique qui risque de lui faire commettre des erreurs». La mesure qui prétend contrôler les «fréquentations» des sites djihadistes est, à ses yeux, «ridicule». Il n'en veut pour preuve que «l'aggravation de fléaux aussi graves comme la pédophilie via internet ou l'arnaque». Pour lui, l'«emprise du phénomène djihadiste sur les jeunes réside dans un travail de pédagogie, de proximité et du rejet de la culture d'exclusion». Les autorités espagnoles estiment à plus de 80 le nombre d'Espagnols (dans leur quasi-totalité d'origine marocaine) qui sont allés faire le djihad en Irak et en Syrie et dont certains envisageraient de retourner en Espagne pour y commettre des attentats. Cette préoccupation quasi-maladive du gouvernement n'est pas toujours partagée, y compris dans la sphère sécuritaire où l'on estime que l'Espagne est plutôt, pour le moment, un pays de captation et non pas d'action pour les cellules de soutien aux djihadistes. C'est dans ces milieux que l'on est le plus favorable à la traque des réseaux de recrutement, y compris par la pénalisation des consultations des pages web d'Aqmi et de Daech.