L'effondrement des cours du pétrole inquiète les spécialistes qui ne cessent de tirer la sonnette d'alarme sur l'urgence de prendre conscience des dangers auxquels fait face l'Algérie et d'aller vers une économie diversifiée. Invité hier au forum de Liberté, M.Mourad Preure, expert pétrolier, a présenté un diagnostic de la crise de l'industrie pétrolière à laquelle fait face le monde actuellement. «Nous nous dirigeons vers ce qui s'apparente à une crise économique et financière extrêmement sévère», a-t-il prévenu. L'expert appelle les gouvernants à réagir avant que la crise ne les surprenne. Il a qualifié cette chute des prix du pétrole d'épisode baissier prévisible. Il est surtout question dans ses propos de prise de conscience insuffisante. M. Preure déplore que la leçon de 1985 et la crise du pétrole qui a précipité la chute des prix n'aient pas été prises en considération. Pour lui, il est dangereux de bâtir toute une économie sur un marché instable et spéculatif comme le marché pétrolier. «Cette crise n'est pas un orage passager, mais un orage récurrent ; il est temps de prendre conscience de la réalité du marché pétrolier», a-t-il souligné. Abordant les récentes découvertes d'hydrocarbures, l'expert a fait savoir qu'«elles sont loin de compenser les quantités produites», d'autant plus que les gisements découverts nécessitent entre 7 et 10 ans pour entrer en production. Il estime préférable de «travailler sur l'amélioration du taux de récupération au niveau des gisements en cours d'exploitation», en utilisant des technologies nouvelles comme le forage horizontal et la fracturation hydraulique. M.Preure a mis l'accent sur la nécessité de renforcer l'entreprise pétrolière Sonatrach. «Elle doit être dans le top 10 des compagnies pétrolières, même s'il faut faire appel à des cadres étrangers», a-t-il dit, ajoutant : «Pour mettre à niveau le football algérien, nous avons eu recours à des entraîneurs étrangers ; je ne vois pas pourquoi nous ne ferons pas de même pour Sonatrach qui en a vraiment besoin, vu son importance dans l'économie algérienne». Pour sa part, M. Chems-Eddine Chitour, professeur de thermodynamique à l'Ecole nationale polytechnique d'Alger, a soutenu que la crise pétrolière peut être une possibilité pour les pouvoirs publics de rebondir et de se redéployer en allant vers de nouvelles stratégies pour doubler ses réserves. «Il y a un véritable problème de gouvernance ; nous avons besoin de personnes qui prennent le risque d'aller au bout de leurs idées», a-t-il fait savoir, citant comme exemple la Chine qui tente par tous les moyens de doubler ses réserves en investissant dans l'or. S'agissant des hydrocarbures non conventionnels comme le gaz de schiste, les deux experts étaient d'accord sur la nécessité pour l'Algérie de s'approprier la technologie nécessaire pour une telle industrie afin d'assurer sa rentabilité. «Nous n'avons ni les moyens financiers ni les moyens techniques pour explorer le gaz de schiste», ont-ils affirmé. Autre constat partagé par les deux experts : la révision du modèle énergétique et l'optimisation de l'efficacité énergétique pourraient, elles aussi, contribuer à prolonger la durée de vie des gisements conventionnels. Il s'agit en particulier d'encourager l'énergie solaire en renforçant la construction de centrales électriques hybrides (gaz solaire) destinées à répondre aux besoins du marché interne pour libérer des quantités supplémentaires d'hydrocarbures pour l'exportation. Sortir du modèle rentier Pour la plupart des experts nationaux, en dépit des quelques marges de manœuvre encore disponibles dans le secteur des hydrocarbures, les réponses passent cependant aujourd'hui par la remise en cause du modèle rentier. La redéfinition de la politique sociale, la maîtrise des importations et des dépenses publiques ainsi que la promotion d'une économie hors-hydrocarbures portée par des secteurs porteurs et bien ciblés sont les pistes les plus souvent évoquées. Pour M.Chitour, il est temps d'élaborer une stratégie pour la rationalisation de l'énergie et l'augmentation de ses tarifs. «Il faut différencier la tarification de l'électricité et fixer un seuil de consommation pour chaque habitation. Dans le cas où ce seuil est dépassé, le coût doit augmenter», a-t-il indiqué, avant de poursuivre : «Nous utilisons des climatiseurs de type E qui consomment deux fois plus d'énergie, car il n'y a aucun contrôle sur les ustensiles électroménagers importés». Plus radicalement, selon M.Preure, «le principal problème de l'Algérie, depuis 1976, a été de ne pas diversifier l'économie. Aujourd'hui, les résultats sont là : l'Algérie exporte 98% d'hydrocarbures». L'économiste conseille de renouer avec le débat sur les échanges extérieurs et de sortir de la fixation «maladive» sur le prix du pétrole «compatible» avec le financement de notre économie. «C'est à l'économie algérienne de s'adapter aux réalités du monde et pas l'inverse», a-t-il affirmé.