Ils sont plus de 18 millions d'Algériennes et d'Algériens à vivre seuls. Si certains assument ce choix de vie et semblent plutôt épanouis, loin des soucis de famille, d'autres angoissent à l'idée de vieillir avant de trouver l'âme sœur. En creux, c'est le moral de notre société qui est ainsi mis en évidence par cette sensible question du célibat dans ses déclinaisons sociales, économiques, culturelles voire même cultuelles. Lire notre enquête qui donne la parole à ces personnes qui n'osent pas toujours se livrer. Le célibat. Voilà un constat en passe de devenir un véritable phénomène social en Algérie. Ils sont environ 18 millions d'Algériennes et d'Algériens à rester seuls, pour une raison ou une autre, soit presque la moitié de la population. Encore que ce chiffre date de 2008 et n'est pas encore actualisé par l'Office national des statistiques (l'ONS) qui le fait tous les dix ans. Autrement dit, il pourrait être beaucoup plus important en 2015, compte tenu des conditions socioéconomiques pas très engageantes mais aussi des pesanteurs sociologiques. Pourquoi donc ces jeunes femmes et ces jeunes hommes rechignent-ils à se lier pour le meilleur et pour le pire ? Qu'est-ce qui les empêche de presser le pas vers l'autre pour fonder un foyer ? Sont-ils en déséquilibre psychologique ou, au contraire, vivent-ils bien leur solitude ? Plus directement, être célibataire est-ce un «statut» choisi ou un fardeau subi ? Plongée dans l'univers presque intime des célibataires «endurcis». Les personnes que nous avons interrogées évoquent une foultitude de raisons pour justifier leur célibat. En général, ce qui revient dans le discours des unes comme des autres, c'est que le célibat est indéniablement lié au milieu social. En effet, les femmes qui vivent seules sont souvent des urbaines diplômées avec un poste d'emploi. Tandis que les hommes célibataires, citadins ou ruraux, sont en échec social (sans emploi), ce qui les confine dans leur solitude. Ensuite, c'est la peur de (re)faire confiance à l'autre qui est évoquée. Qu'en est-il de ceux qui ont choisi de mener une vie en solo ? L'image du célibat est, en effet, totalement différente de celle des décennies précédentes. Que ce soit ailleurs comme en Algérie, vivre seul n'est plus une fatalité dans certains cas, mais un choix bien vécu ou tout simplement un passage obligatoire avant le grand saut. Pour comprendre ce «phénomène» nous sommes allés à la rencontre de ces femmes et hommes qui n'ont toujours pas trouvé «chaussures à leur pied». Les témoins que nous avons approchés ont 30 ans et plus et ont tous pour point commun : un cœur à prendre. Ils nous racontent comment ils vivent leur solitude au quotidien et surtout comment ils sont vus par leur entourage. Si pour certains être seul rime avec tristesse, pour d'autres c'est plutôt «mieux vaut être seul que mal accompagné». Témoignages. Ouiza (32 ans), enseignante au secondaire :«Ils ont tout pour plaire, mais…» A tout juste 32 ans, Ouiza, enseignante de langue française dans un lycée à Tizi Ouzou, a tout d'une femme épanouie. A un détail près. Elle n'est toujours pas mariée. Sa solitude elle la vit comme un «lourd fardeau» qu'elle traîne de plus en plus difficilement. «Les personnes que j'ai rencontrées et avec lesquelles je m'entendais avaient des exigences qui ne m'arrangeaient pas. Certains d'entre-eux me parlaient du port du voile d'autres de changer ma profession ou carrément arrêter de travailler pour être une femme au foyer. Cela ne me convenait pas du tout. J'ai du respect pour toutes les femmes qui ont choisi de rester chez elles à plein temps mais pour ma part, faire des études pour rester à la maison n'est pas évident. Mon épanouissement personnel passe inévitablement par le cadre professionnel», témoignera-t-elle. En haussant ses épaules, Ouiza, comme d'un air désespéré, avouera que maintenant, la trentaine bien consommée, elle trouve plus de difficulté à rencontrer son autre moitié. «Quand on prend de l'âge ça devient plus difficile de rencontrer l'âme sœur. Une personne qui pourra nous combler et partager nos idéaux et notre mode de vie. Parfois, on prend le pli sur certaines habitudes, on devient plus exigeant, l'élan qu'on a à vingt ans, on finit par le perdre et on se lance beaucoup moins facilement», dira-t-elle. Le plus difficile aujourd'hui pour Ouiza est particulièrement le regard que porte sur elle son entourage au sens large. «Mes parents m'ont toujours encouragé à percer dans le domaine professionnel. Ils m'ont souvent répété que le mariage attendra mais les études non. Mais, quand je sors de chez moi, c'est tout autre chose. Je reçois toujours des piques de la part de certaines personnes.» «Eh Ouiza tu as des enfants ? Comme pour me demander si je suis mariée ou pas encore. Tu sais Ouiza, ma fille te passe le bonjour, te souviens-tu d'elle ? Vous étiez ensemble au collège, maintenant elle s'est installée avec son époux et ses deux enfants à Alger… C'est vrai, on pourra me dire que je dois passer au-delà de ces réactions mesquines, mais entre nous, j'avoue que le soir, seule dans ma chambre, tout cela me travaille.» Ouiza n'est pas un cas isolé. De nombreuses femmes, algériennes notamment, se retrouvent ou presque dans cette situation. A 40 ans, Amel, l'éternelle célibataire, souffre de sa solitude depuis très longtemps. Cadre dans une entreprise de bâtiment, elle n'arrive toujours pas à trouver l'homme de sa vie, malgré les nombreuses heures qu'elle passe devant son écran d'ordinateur à chercher désespérément sur les sites de rencontres celui qui la comblera. Amel : «Mon boulot m'a tout pris…» Dans son bureau sis à El Biar, Amel nous confie son histoire. «J'ai toujours été une carriériste. J'ai favorisé mes études et mon travail pendant plus d'une dizaine d'années. Je voulais être la meilleure. C'était pour moi une revanche sur mon enfance et les conditions médiocres dans lesquelles je vivais avec ma famille. Rien n'avait d'importance que de réussir dans le domaine professionnel. Mais le temps passe très vite. Si vite que nous avons laissé passer la chance de rencontrer l'âme sœur. Dans ma quête effrénée des objets de mes désirs, l'argent et la gloire, j'ai oublié ce qui importe le plus. Avoir des enfants et fonder une famille», regrette Amel. Et de renchérir, un peu fataliste : «Aujourd'hui, les hommes que je rencontre ont tous peur de la femme indépendante que je suis. La société dans laquelle je vis ne me facilite pas la tache non plus. J'ai souvent été déçue par les réactions des uns et des autres. Bien que je ne manque de rien, l'avenir me fait tout de même peur». «J'appréhende ce futur où je ne serai pas entourée d'un mari et d'enfants.» Marquant un bref instant en fixant les yeux vers la fenêtre de son bureau, Amel avouera avec un brin d'ironie : «Je crois ne pas avoir saisi le wagon au bon moment… Mais je continuerai à chercher. Mon âme sœur doit être quelque part sans doute en train de m'attendre…» Le chômage. Voilà un vocable qui hérisse les poils des jeunes sans emploi. C'est un phénomène qui touche des millions de jeunes Algériens et qui les empêche d'envisager une vie de couple. Les derniers chiffres de l'ONS, d'avril 2014, indiquent, en effet, que plus de 9% de la population est inactive dont 43% ont plus de 30 ans. Il y a clairement une relation de cause à effet entre le chômage le célibat. Boudjemaâ L'opticien qui ne voit rien venir Boudjemaâ, opticien de 35 ans, vient de perdre son emploi en même temps que la femme avec laquelle il a vécu une longue histoire d'amour de neuf ans. Rencontré au bas d'un immeuble à la rue Larbi Ben M'hidi, il semble un peu perdu dans ses pensées. Il est convaincu que le travail est la clé d'un éventuel projet de mariage. «Le mariage est la décision la plus importante qu'un homme prend dans notre société, mais hélas, on est confronté toujours à des problèmes de manque de moyens financiers. Le mariage chez nous coûte les yeux de la tête. En tant que célibataire chômeur de surcroît et l'âge qui avance à pas de géant, l'avenir se dessine en pointillés…», s'inquiète-t-il. «C'est très dur à supporter, surtout pour les jeunes filles. Le malaise est plus profond qu'on le pense. Si on n'a pas de soutien de la part de nos parents, il est très difficile pour nous de réaliser ce rêve et là aussi on est exposé à des problèmes … Même déception, même constat et mêmes craintes couvent dans la tête de Yacine, un jeune de 29 ans, originaire de Boumerdès et inactif depuis 10 mois. Yacine enchaîne les conquêtes, depuis un bout de temps, sans qu'aucune n'aboutisse à une vie à deux. Il dit ne pas être exigeant quoiqu'il peine à trouver la femme de sa vie. «Les femmes que je rencontre veulent toutes vivre sans la grande famille, mais il m'est impossible de louer un appartement avec le salaire que je touche. Nos parents habitaient avec les oncles et tentes et ils s'en sortaient très bien. Aujourd'hui, c'est carrément les parents qui exigent que leur fille habite seule. C'est une culture qui nous dépasse car nous ne pouvons nous permettre ce luxe. Chacun doit donner du sien pour pouvoir s'en sortir. Sinon, pour ma part, j'ai perdu l'espoir de fonder un jour un foyer», lâche-t-il. Quand on n'a que l'amour… L'échec d'une précédente histoire d'amour est souvent la raison qui empêche des femmes et des hommes à aller au-delà de leur peine. Après une douloureuse séparation et après avoir été mis K.O., il est souvent difficile de remonter sur le ring, disent nos témoins. Salim en fait partie. Agé de 46 ans et employé dans une banque à Alger, il est toujours célibataire. Sa solitude lui pèse lourd mais il n'arrive plus à faire confiance. «Jeune, j'avais fortement aimé une femme. Une voisine avec laquelle je rêvais de fonder un foyer et d'avoir de nombreux enfants… Hélas, ses parents en ont voulu autrement, la forçant à épouser un de ses lointains cousins, qui la dépassait d'une vingtaine d'années, mais qui, lui, était riche. Le plus dur, c'est qu'elle n'a pas fait assez d'efforts pour contrecarrer la volonté de ses parents au nom de notre amour. Elle s'est laissée convaincre trop facilement à mon goût, des bienfaits de cette alliance… Depuis, je ne me vois pas retomber dans le même piège et faire confiance à une autre femme, du moins au point de l'épouser», raconte Salim. «Moi me marier ? Jamais !» Rachid, 33 ans, comptable à Blida, n'est pas du tout intéressé par l'idée de se marier un jour et fonder un foyer. «Moi me marier ? Jamais ! Je suis le plus jeune dans ma famille qui compte six garçons. Parmi mes cinq frères, trois ont divorcé, et les deux autres arrivent difficilement à se maintenir en couple. Mes sœurs aussi ne me semblent pas trop heureuses chez elles. Ce sont les enfants, mes pauvres neveux, qui sont en train de souffrir d'une situation qu'ils n'ont pas choisie. Comment voulez-vous que je veuille un jour penser à me marier avec tout ce que je vois autour de moi au quotidien ?», expliquera-t-il. Enquête réalisée par