Abdelkader Guermaz est un artiste hors pair. Sa réputation dépasse nos frontières. Malgré sa grande modestie et sa discrétion, qui sont l'apanage des grands, il demeure peu connu dans son pays. Guermaz compte parmi les pionniers de la peinture algérienne et son œuvre existe dans divers musées algériens et étrangers tels Zabana d'Oran avec son tableau «le Paysage urbain», aux côtés de Mammeri Azouaou avec «la Porte à Mogador», Khadda «la Terre s'offre aux semailles», Issiakhem «le Deuil» et Baya «la Dresseuse de paons». Abdelkader Guermaz exerçait son art en s'inspirant de la vie de tous les jours et parvenait à les traduire dans une œuvre d'une puissante originalité. Qualités tellement ancrées au plus intime de son être et allant parfois de pair avec un véritable retrait du monde. Ce monde qu'il construisait avec une subtile virtuosité dans ses toiles était celui-là même que désire contempler et respirer un esprit libre. Guermaz avait une ligne de vie dominée par la passion de peindre et la volonté d'atteindre, à travers la toile, l'essence des choses. Né à Mascara en 1919, il est saisi dès son enfance par le désir de dessiner ; il est le seul «indigène» à faire l'Ecole des beaux-arts à Oran et ce, de 1937 à 1940. Il ira peu après à Alger pour étudier la miniature avec Mohammed Racim. Sa conception de la liberté artistique est déjà clairement affirmée dans les propos qu'il tient à un journaliste qui l'interroge sur son milieu familial. «Je suis le seul qui ait refusé de faire une carrière. Je tenais à rester moi-même et, donc, à me sacrifier aux seules choses qui me plaisent vraiment, c'est-à-dire la littérature, la peinture et la musique.» Mais la peinture l'accapare tellement, c'est une passion qui le pousse à restreindre son activité littéraire et à abandonner la pratique du piano. Il se consacre à son œuvre sans s'affilier à aucune école Mais il fréquente toujours assidûment l'opéra d'Oran et, n'ayant pas de piano, il se fabriquera un clavier «sans cordes ni marteaux de percussion». A Paris, il habite au quai du Louvre un petit deux-pièces que la fille du peintre Rouault met à sa disposition en échange de travaux de gardiennage, d'entretien de l'immeuble et probablement de pas mal de toiles qu'il aimait remettre gracieusement. Modestie et humilité Un étudiant suisse, qui publiera ultérieurement un des rares entretiens qu'il a donnés, le prenait pour le concierge et n'apprit que tardivement qu'il était peintre. C'est dire avec quelle humilité il se consacre à son œuvre sans s'affilier à aucune école, sans entrer dans aucun réseau, sans se plier à aucun pouvoir : individualisme libertaire avec ses risques et périls. D'ailleurs, il lui est arrivé plus d'une fois de se rendre place Saint-Michel ou à Montmartre pour faire au crayon des portraits de touristes. Déjà, les formes de facture réaliste - réalité poétique, dit-on - peintes par Guermaz secouent les contraintes objectives pour laisser rayonner la couleur comme palpitation de la vie. Mais, progressivement, il se passe des objets, se soustrait aux formes établies et à leurs servitudes et restreint la suprématie de la couleur pour aller vers une abstraction de plus en plus délicate, une composition où sont comme stratifiées des plages de gris et de blanc, rompues parfois par un minuscule carré de couleur vive, bleu, rouge, vert, «quelques petites notes de musique» qui contribuent à rendre la toile «musicienne du silence». Guermaz maintient le contact avec l'Algérie. Il devient en 1962 correspondant à Paris du journal la République d'Oran. Il est représenté à l'exposition collective Peintres algériens qui s'ouvre le 1er novembre 1963 au Musée des beaux-arts d'Alger et à celle qui a lieu sous le même nom au Musée des arts décoratifs de Paris en 1964. Celle-ci réunit la grande majorité des peintres algériens contemporains et européens originaires d'Algérie. Il est encore présent à Alger aux Salons de l'Unap de 1964 et de 1974, de même qu'à la Galerie 54 (Jean-Sénac) en 1964, à l'exposition Reflets et Promesses de la Galerie de l'Unap en 1966 et à celle Peinture algérienne contemporaine du Palais de la culture à Alger en 1986. Il meurt à Paris le 9 août 1996.