Quelques jours avant l'Aïd, le ministère du Commerce rassurait les Algériens sur la «disponibilté du sucre». En même temps, il n'a pas manqué de leur dire que le sucre, il pourrait en manquer, si, à Dieu ne plaise, ils retombaient dans leurs travers de stockeurs maladifs. Le message est double : vous êtes responsables de tous vos malheurs et nous n'y sommes pour rien. Mais si les sentences du genre sont délivrées avec autant de nonchalance, c'est qu'il y a des oreilles attentives à cela. Et pour cause, c'est souvent un retour d'écoute. C'est la très peu haute idée de soi-même qui donne des idées à l'autre pour vous accabler encore plus. Avant l'Aïd, il était question que le sucre manque. Ça devait être de la faute au consommateur. Maintenant, il paraît que tout va augmenter, ça va être aussi la faute de Monsieur tout le monde. On connaît la chanson, pour l'avoir reprise trop de fois, depuis longtemps. Le haricot vert est à 300 dinars ? Mais qu'est-ce qui peut bien nous obliger à acheter un légume qui ne «fait pas partie de nos traditions culinaires», «n'a pas de valeur nutritive particulière» et est «produit dans des quantités si insignifiantes qu'il peut faire l'objet de toutes les spéculations» ? Dans un ultime effort de «réflexion» collective, avec une inconsidérée propension à l'autoflagellation, le citoyen algérien se croit souvent obligé d'apporter les réponses les plus accablantes pour sa personne. Les situations où il est naturellement la victime, il veut les conjurer en passant allégrement de l'autre côté de la barrière. En plus de disserter sur des «goûts culinaires» qui deviennent cycliquement «étrangers à ses traditions» et d'aller chercher des théories savantes sur l'inconsistance d'un produit, il va, dans un élan abscons, dédouaner les planificateurs de son malheur qui, eux, savent toujours pourquoi les choses sont ainsi et pourquoi ils travaillent sans état d'âme pour que cela ne change pas. La courgette qui atteint les sommets pendant le mois de Ramadhan ? Ce serait encore la faute du consommateur, incapable de s'en passer pour sa chorba et ne sait pas remplacer la dolma par d'autres mets forcément plus appétissants. Un produit qui double de prix du jour au lendemain ? Nous délaissons jusqu'à certaines raisons, objectives même si elles n'expliquent pas tout, pour découvrir comme par miracle que nous en sommes les plus gros consommateurs du monde, que nous sommes des dingues de sucre ou de pain, que nous ne contrôlons pas nos enfants qui se goinfrent de bonbons, que nous ne comptons plus le nombre de cuillerées que nous mettons dans la tasse… Nous sommes maltraités dans tous les aéroports du monde ? Eh bien, qu'on reste chez nous. Nous ne savons pas ce que nous ratons en quittant notre beau pays pour aller quémander un autre pan de ciel ? Et nous ressortons nos 1200 kilomètres de côtes, nos «petits Paris» qui peuvent être indifféremment Azeffoun, Sidi Bel Abbès ou Collo. Et nous faisons le parallèle entre Marrakech et Ghardaïa, El Kala et Djerba… Avant d'aller faire la tournée des agences de voyages. Au fait, des associations qui nous caressent dans le sens du poil nous annoncent parfois une «journée sans achats». On le savait, si les prix flambent, c'est parce que nous consommons beaucoup. Alors, allons-nous nous approvisionner, la journée «sans achats» est imminente. L'augmentation des prix aussi. Slimane Laouari Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.