Baya Hachemi s'est enfin décidée à créer un espace féminin dédié au cinéma. Un espace exclusivement féminin où toute l'expression artistique s'exprimerait hors des sentiers battus par les hommes qui, selon elle, ont pris le monopole de la production cinématographique mais aussi l'organisation des événements qui y sont liés. La cinéaste a été nommée commissaire des journées du cinéma féminin qui auront lieu du 28 au 30 novembre au palais de la culture Moufdi-Zakaria, Kouba. Des journées qui accueilleront la Palestine comme invité d'honneur. Pendant deux jours et demi, une trentaine de personnalités étrangères dont Michele-Ray Gavras, Yamina Benguigui, Alia Arasoughly, Zain El Duraie et El Asia Rayan qui agissent pour améliorer le statut de la femme dans le secteur du 7e art, iront à la rencontre des algériennes. Des femmes qui ont une soif sans limite de se mettre au fait du savoir faire en matière d'écriture de scénarios, de casting, de production et de financements. Des étapes essentielles pour parvenir à placer une bonne fois pour toutes la femme à la place qui lui convient, c'est-à-dire aux côtés des hommes dans tous les métiers et notamment ceux de la création artistique et cinématographique. Mais avant tout ça, Baya Hachemi a bien voulu revenir sur le parcours emprunté par cet événement très attendu par les amatrices de cinéma. Le Temps d'Algérie : Comment l'idée d'un événement autour de la femme et du film vous est venue ? Baya Hachemi : Quand il y a eu le terrorisme en Algérie, j'ai été invitée par le festival féminin de Créteil en France, j'étais contre. Je n'aimais pas. Je ne suis pas féministe, donc je n'aime pas ce genre de choses. Pour moi, la femme doit se faire une place au milieu des hommes. Pas question que cela soit autrement. On dit tellement que la place de la femme est à la cuisine que je ne veux plus entendre parler de ça. Je veux que la femme se mélange aux hommes et j'ai trouvé que c'était une idée géniale parce que c'est le seul espace où nous pouvons parler en toute liberté. À l'époque, c'est-à-dire dans les années 1990, la France n'était pas à nos côtés. Ils nous attaquaient en disant c'est les militaires qui tuent, ce ne sont pas les pauvres islamistes. Nous avions eu la possibilité et la dame du festival leur a dit, nous, nous sommes en démocratie et je veux de la tolérance. Laissez les algériens s'exprimer et après, vous vous faites une idée. J'ai trouvé cela extraordinaire. Et je me suis demandé pourquoi nous, nous n'avions pas cet espace. Concrètement, comment cela s'est fait ? Je voulais le faire déjà en 2007. Et puis après, je travaillais beaucoup. Je faisais des feuilletons. La ministre Khalida Toumi a fait quand même des choses positives. Et puis qui ne travaille pas, ne fait pas de bêtises. Elle avait signé, à l'époque, un avis favorable pour l'organisation de ces journées. Ensuite, c'est peut-être moi qui n'étais pas assez agressive. Je n'ai pas forcé les choses. J'ai laissé ça de côté et de toutes façons, j'étais bien contente qu'elle ait dit ok. J'ai oublié. Je suis restée cinq ans sans travailler parce que ce n'est pas facile. Je me suis dis pourquoi ne pas créer un espace pour permettre aux femmes de travailler. Quand vous faites un festival tout court, c'est en général les hommes qui le font et je suis désolée encore une fois, je dis je ne suis pas féministe mais ils vont choisir en premier lieu des films d'hommes à projeter. C'est une société d'hommes faite pour les hommes, privilégiant l'homme. Même chez nous, on privilégie le garçon par rapport à sa sœur. Elle est plus grande que lui mais on lui dit écoute ce que te dit ton frère. C'est nos mentalités. Et ce qui m'a encore plus interpellée, c'est le festival d'Oran du film arabe. Il n'y avait pas de film réalisé par des femmes. Et je dis, c'est dommage. Puisque les hommes ont décidé de faire des festivals que je soutiendrais de tout cœur, pourquoi pas nous ? Pourquoi des journées internationales du film féminin au lieu d'un festival ? C'est vrai qu'au début, on voulait faire un festival. On pensait qu'on allait avoir du temps pour le faire. L'idée a été reprise par la ministre Nadia Labidi. Ensuite, elle a quitté le gouvernement sans que l'on puisse concrétiser le projet. Elle avait quand même donné son aval. Elle avait initié l'idée avec nous puisqu'elle était membre de notre association. Et quand Azzedine Mihoubi est arrivé, j'ai dit qu'on allait repousser encore puisque c'est un homme. Il a donné son accord et je le remercie. Il nous a aidées mais nous n'avions pas le temps de préparer matériellement un festival. Et nous ne sommes pas encore mûres pour le faire en particulier dans le cadre de la gestion. On ne se sentait pas toutes prêtes. Donc nous nous sommes réunies. Tout le comité, en l'occurrence, Mina Chouikh, Malika Laîchour, Samira Hadjilani, Houda Hachemi, Fatima Ouezzane… Elles ont dit, on va commencer par des journées, cela nous permettra d'inviter les autres festivals à venir nous expliquer comment on fait un festival et ensuite, passer des conventions avec elles. Comment envoyer des stagiaires et aller voir comment on prépare une programmation ? Comment on choisit des films ? Comment on se déplace pour aller visionner ? Quel est le thème que l'on choisira chaque année ? On organise les journées, c'est un test pour nous et ensuite si nos autorités sont d'accord et j'espère qu'elles le seront. Ce que femme veut dieu le veut ! Qu'est ce qui fait la particularité de cette première édition ? Je vous le redis, il ne s'agit pas d'un festival, donc il n'y a aucune compétition. Nous avons été un peu égoïste en choisissant les invités qui pouvaient nous apporter un plus dans la préparation des festivals. Nous avons choisi d'inviter Créteil parce que c'est le plus grand festival féminin de France. Nous avons choisi le festival de Namur en Belgique, parce que Namur a toujours favorisé et soutenu les films algériens, donc c'est une manière de les remercier. Nous avons également invité le festival de Marseille. On a mis l'accent surtout sur l'aspect académique de la chose. On voulait expliquer même pour nous ce que c'était un scénario, une adaptation, un casting. Donc, ce sont des thématiques que nous allons essayer de développer. Il y aussi la question du financement. Pendant ces journées nous allons consacrer un espace à la question «comment obtenir et aller vers des financements ?» Tout cela a fait que nous n'avons pas mis l'accent sur le nombre de pays. Nous nous excusons d'ailleurs auprès de plusieurs qui nous on contactés pour participer. Nous leur donnons rendez-vous pour le festival. En deux jours et demi, ce n'est pas beaucoup. Vous êtes partisane du développement des industries créatives, concrètement comment cela peut se traduire à partir de ces journées ? Ce qu'on veut, c'est créer des clusters du cinéma. C'est très important. J'ai été à Dubaï, ils en ont un magnifique. Ils sont prêts à nous aider à le monter en Algérie. En Allemagne, c'est de là que sont parties les initiatives des industries créatives. Nous avons été les voir et ils sont prêts également à nous aider. Vous savez, quand on fait un film tout le monde doit travailler. Le menuisier, le designer, le couturier… même l'artisan doit travailler. La décoration, nous avons de très belles choses pour décorer. Mais nous devons créer un pôle de production. ça veut dire que nous devons avoir des espaces où l'on peut poser son chapiteau lorsqu'on produit. On ne doit plus courir dans les rues pour essayer de trouver une ruelle qui ressemble à ça ou à ça. Nous devons créer des décors dans des espaces bien précis et là, nous les avons. Nous avons des hangars qui sont fermés, que nous pourrions utiliser pour créer des industries créatives. Et chaque film fait travailler au minimum 120 personnes. Le décor qui a servi pour tel film peut être restauré pour servir à autre chose. Ce sont les mêmes planches que vous pouvez réutiliser. Il faut un hangar et après, c'est le génie qui opère.