Diplômé de l'Ecole supérieure du pétrole et des moteurs de Paris, docteur d'Etat en économie de l'énergie de l'Institut français du pétrole, Mourad Preure est stratège et animateur du processus de modernisation de Sonatrach dans les années 1990. Conseiller chargé de la prospective, de la stratégie et du développement technologique auprès du PDG de Sonatrach jusqu'en 2002 et expert pétrolier international, il a accepté de répondre à nos questions sur les raisons à l'origine de la remontée des prix du pétrole. Les prix du pétrole ont frôlé hier les 70 dollars sur les marchés boursiers. Comment expliquez-vous cette hausse ? C'est une bonne nouvelle. Les prix approchent aujourd'hui les 70 dollars, après avoir connu un niveau au-dessous de 40 dollars en décembre 2008. Les prix tendent à se réaffirmer alors que les nouvelles concernant l'économie mondiale et l'industrie pétrolière ne sont pas réjouissantes. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole avait annoncé une estimation de baisse de la demande mondiale de pétrole pour 2009 de 1,8%, l'Agence internationale de l'énergie avait estimé une baisse de l'ordre de 2,8%. Les stocks pétroliers restent également élevés de 61 jours au lieu d'être de 55 jours. Ce ne sont pas donc les fondamentaux (l'offre, la demande et les stocks) qui ont tiré les prix vers le haut. Il faut dire que le marché pétrolier est devenu excessivement spéculatif. En fait, le niveau de 140 dollars le baril atteint en juillet 2008 est dû en grande partie à la spéculation. Ce niveau comportait d'ailleurs un potentiel de récession. En réalité, les prix se sont mis à fluctuer autour d'un niveau pivot de 50 dollars. Globalement, les nouvelles de l'économie mondiale ne sont pas encore encourageantes. On nous parle de récession mondiale de 1,3%, selon les prévisions du FMI, et de 3,8% pour les pays de l'OCDI, de 3,6% pour les Etats-Unis, de 3% pour la France et de 4% pour la zone euro. Quant à la croissance des pays émergents tels que la Chine et l'Inde, elle sera respectivement de 7,8% et de 4,5%. En principe, en tenant compte de ces données, rien ne devra provoquer cette hausse des prix du pétrole. Cette hausse des cours du brut sera-t-elle maintenue, selon vous ? Il y a une réalité à ne pas cacher. La flambée des cours pétroliers au moment où les investissements ont été suspendus peut réellement provoquer un choc. La réunion du G8 qui s'est déroulée en Italie avait convenu sur cette grande question de l'investissement. Le niveau des prix atteint dernièrement par le pétrole ne pouvait pas permettre de rentabiliser les nouveaux investissements, qui sont nécessaires pour que la production soit là lorsque la demande reprendra. L'Agence internationale d'énergie parle justement de ce choc. Il y a aujourd'hui 170 milliards de dollars de projets qui ont été annulés. L'Opec a reporté 35 projets pétroliers. Et lors de la réunion du G8 à Rome, on avait parlé de la chute des investissements dans l'exploration pétrolière de 21% en 2009. L''investissement dans les énergies renouvelables va chuter encore de 38%. On est dans une situation extrêmement sensible à la veille de très grands bouleversements et de chocs pétroliers. L'Opep a une capacité inutilisée qui est de 8 millions de barils par jour. Si l'on prend en compte les projets qui vont entrer en production en 2009, cette capacité va atteindre les 10 à 12 millions de barils par jour. Même au sein de l'Opep, la cohésion peut être remise en cause dans ce contexte. Certains spécialistes parlent de l'inévitable consensus sur les prix pouvant atteindre les 70-75 dollars. Quel est votre point de vue ? Ce sont les compagnies pétrolières occidentales qui ont souvent parlé d'un prix plancher de 75 dollars le baril. Mais, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que la hausse que nous avons connue du baril est liée aussi à la dépréciation de la monnaie américaine, le dollar. Je ne pense pas que le prix de 75 dollars soit un optimum, parce que nous approchons de l'épuisement des énergies pétrolières. Les investissements effectués aujourd'hui seront également de plus en plus coûteux. Les plus grands gisements mondiaux sont en phase de déclin. Je ne pense pas qu'avec un prix de 75 dollars, on puisse compenser l'épuisement de cette énergie et rentabiliser les investissements lancés. Les prix du pétrole à long terme devraient dépasser en réalité les 100 dollars le baril. Quelles seront, d'après vous, les répercussions de l'évolution du marché pétrolier sur l'Algérie ? En parlant de l'Algérie, il faut bien penser à l'après-pétrole. Le cas de la Finlande est un bon exemple à ce propos. Ce pays dépendait exclusivement des exportations vers l'Union soviétique. Lorsque l'Union s'est effondrée, la Finlande s'est retrouvée dans une situation de crise très grave. Elle a décidé de repartir sur de nouvelles bases économiques. Le leader de la téléphonie Nokia, par exemple, avait investi dans le bois. La Finlande s'est complètement replacée sur la nouvelle économie. Mais notre pays demeure toujours lié à l'économie mondiale à travers les hydrocarbures. Nous avons des réserves de change et des recettes importantes, certes. Mais il faut encourager l'investissement productif. Il faut repartir aller à une case départ et trouver un moyen pour sortir de cette dépendance. Le retour au patriotisme économique et à la préférence des produits nationaux est indispensable. Il faut revenir aux principes de l'économie nationale. La Finlande s'est appuyée sur une valeur nationale forte pour relancer son économie. Cet exemple correspond à notre plan de lutte contre la dépendance des marchés pétroliers. Quelles seront les perspectives pour le marché pétrolier ? A partir du troisième trimestre de l'année en cours, les prix vont se maintenir autour des 70 dollars. L'année 2010 verra plusieurs configurations du marché. La demande de la Chine devra connaître une nouvelle augmentation. Il peut y avoir de bonnes surprises. Tout dépend des facteurs économiques, les prix vont continuer à augmenter en 2010. Il pourrait y avoir même un choc pétrolier. Propos recueillis par