La construction du Maghreb est bloquée par l'absence de leadership. Cette conclusion a été évoquée mercredi soir lors d'un dîner-débat, organisé au restaurant La maison du couscous à Alger, par le cabinet d'études stratégiques et énergétiques Emergy, sur le thème « L'entreprise à l'épreuve du changement. Quels challenges dans le contexte actuel de crise ? L'importance de l'intelligence économique ». « Aucun projet d'intégration régionale ne s'est fait sans leadership. Le couple franco-allemand a été le moteur de la construction européenne. Il faut postuler au leadership et ne pas attendre que les autres le fassent. L'Algérie possède des caractéristique pour être leader au Maghreb », a expliqué Mourad Preure, spécialiste en stratégie économique, expert pétrolier et directeur du cabinet Emergy. « Ce leadership est exprimé par la volonté des entreprises, pas par celle des Etats », a-t-il ajouté. Pour Jean-Louis Levet, directeur général de l'Institut des recherches économiques et sociales (IRES), l'avenir de l'Algérie est en Méditerranée. « Tout Etat doit faire des choix mais chaque Etat a une stratégie à choix multiples. Il est de l'intérêt de travailler avec ses voisins africains et de prendre le leadership au Maghreb », a-t-il précisé. Il a pris soin d'indiquer que le Maroc réalise 80% de ses échanges avec l'Union européenne (UE). « Il a fait un choix donc. A ce titre, il bénéficie d'un transfert massif de technologie. Pourquoi Renault a choisi de s'installer au Maroc ? Pourquoi EADS investit en Turquie ? Des questions que l'Algérie devrait se poser », a-t-il souligné. L'Etat stratège est, selon Mourad Preure, tenu de créer les conditions pour que les firmes, « acteurs-clés du jeu économique international », puissent travailler. « Il faut créer les conditions de la compétitivité et enclencher les cercles vertueux entre les entreprises, les universités et les partenaires étrangers. L'industrie mondiale est organisée en chaîne de valeurs qui enjambe les frontières. Les processus innovants doivent permettre à l'entreprise algérienne d'entrer dans cette chaîne par le haut », a-t-il analysé. L'Etat apporte, d'après lui, la visibilité aux entreprises sur ce qu'elles peuvent faire. « L'Etat doit faciliter aux entreprises algériennes la possibilité d'acquérir des actifs et saisir les opportunités. Il faut qu'il leur donne le droit à l'erreur. Les entreprises sont, elles, tenues d'adapter les standards de management qui sont ceux de leurs concurrents à l'étranger. Elles ne doivent pas se confiner au marché algérien », a-t-il relevé. Ne pas monétiser les réserves pétrolières D'après l'économiste, le marché national n'existe plus. « Il n'y a que le marché global. Il est important de prendre en compte le grand challenge de la nouvelle économie », a-t-il dit, citant l'exemple de la ville indienne de Bangalore devenue la capitale mondiale du génie logiciel. Il y a, selon lui, plus d'ingénieurs à Bangalore qu'à la Silcon Valley aux Etats-Unis. « En Algérie, il est impératif de rompre la chaîne diabolique entre les exportations des hydrocarbures et l'inhibition du développement industriel. Ces exportations doivent être un facteur de ce développement. Aujourd'hui, des industriels ferment des usines, louent les locaux et passent aux containers », a regretté Mourad Preure. Un intervenant au débat a relevé qu'en Algérie, seules 3000 PME sont impliquées réellement dans la production industrielle. Des PME qui ne sont pas dotées d'un véritable système managérial. Mourad Preure a observé qu'en Ecosse, l'exploitation du pétrole en Mer du Nord a entraîné un véritable mouvement de création de PME. « Peut-on me dire quel est le nombre de PME algériennes qui ont été “tirées” par le développement pétrolier dans le pays ? Une initiative doit être prise par l'Etat », a-t-il noté. Selon Michel Delattre de l'entreprise de consulting MD Expansion, qui est basée à Alger, l'Etat doit faire des propositions, pas des impositions. « Il y a des choses à libérer dans les têtes et dans les textes. Et puis, il y a des choses à accompagner. Si les IDE ne viennent pas à nous, il faut allez les chercher », a-t-il dit, insistant sur « une stratégie d'alliance » entre les entreprises. Il a demandé aux présents de citer un seul exemple d'une association stratégique algéro-algérienne. « Il n'y en a pas ! », a-t-il répondu. Plaidant pour « une intelligence compétitive », Mourad Preure a estimé que les entreprises algériennes doivent avoir la capacité d'anticipation. « Plus on va vite, plus les phares doivent porter loin. L'intelligence compétitive est toujours dirigée vers l'action. Les entreprises, comme les fusées, doivent abandonner des étages en montant », a-t-il souligné. Revenant au secteur énergétique, Mourad Preure, qui a dirigé pendant des années le processus de modernisation de Sonatrach, a estimé que l'Algérie doit se doter d'une politique conservatrice des réserves. « Il ne faut pas monétiser les réserves. Sonatrach doit diversifier son portefeuille de réserve. La puissance pétrolière de l'Algérie ne réside pas dans le niveau de ses réserves et de sa production mais dans la capacité de Sonatrach à intervenir sur des terrains d'opération à l'étranger. Malheureusement, la réglementation algérienne n'autorise pas les interventions risquées », a-t-il expliqué. A propos de la crise économique, Jean-Louis Levet a estimé que la préparation de l'avenir dépendra de la compréhension de cette crise.