Pour le sociolinguiste et militant de la cause berbère, Mouloud Lounaouci, en leur consacrant une Journée mondiale chaque année, l'Unesco souhaite que les «langues maternelles fassent partie intégrante des droits de l'homme». Selon lui, l'Unesco qui a fait «l'inventaire des langues maternelles à travers le monde», a pris conscience de «l'appauvrissement» du patrimoine linguistique universel. «Il faut savoir que vingt langues disparaissent chaque année à travers le monde et généralement ce sont celles qu'on appelle des langues de cœur, c'est à dire celles qui n'ont pas de fonction pragmatique, politique et économique qui disparaissent au profit de la langue dite légitime qui est celle de l'Etat et du pouvoir», reconnaît le docteur en médecine et chercheur en sociologie des langues. L'arabe classique n'est parlé par personne Pour Mouloud Lounaouci, on ne peut pas séparer la revendication de la langue maternelle des revendications démocratiques et citoyennes. «Un pays est démocrate s'il donne un statut à ses langues minoritaires ou dites minoritaires», affirme-t-il, en précisant que le paysage linguistique en Algérie est composé de l'arabe classique, l'arabe algérien ou dialectal, tamazight et le français. Selon lui, les deux langues les plus valorisées par l'Etat, à savoir l'arabe classique et le français ne sont pas des langues maternelles. «L'arabe classique qui est la langue nationale et officielle n'est parlé par personne dans le monde arabe dans la pratique quotidienne. Il s'agit d'une langue fortement sacralisée et idéologisée. Le français qui est perçu en Algérie comme la langue de la modernité et du progrès reste la langue de travail de tous les secteurs sensibles. Elle est de fait, et c'est un non-dit, la langue officielle à côté de l'arabe classique», reconnaît Mouloud Lounaouci qui affirme que «l'arabe algérien est la langue vernaculaire» en Afrique du Nord et elle permet donc «une intercompréhension» au niveau de cette partie du continent. Toutefois, ajoute-t-il, cette langue est considérée par les Etats comme un sous-produit de la langue arabe littéraire. «Ce qui est évidement faux dans la mesure où l'arabe algérien est une langue qui s'est totalement autonomisée de l'arabe classique», tranche ce spécialiste des langues maternelles qui avoue que «l'arabe algérien ou derdja a été fortement influencé par le tamazight». C'est la raison pour laquelle, ajoute-t-il, que «le maghrebi ou l'arabe algérien est une particularité de l'Afrique du Nord. Elle fait partie de son identité linguistique et n'est pas comprise dans la quasi-totalité du monde arabe». L'officialité précaire de tamazight Au sujet de la langue amazighe, Mouloud Lounaouci a reconnu que «cette langue avait le statut de vernaculaire avant 2002, c'est-à-dire une langue communautaire parlée dans une partie du territoire algérien et vouée à la disparition». Mais, selon lui, «le mouvement revendicatif, en l'occurrence le MCB, a forcé la décision pour devenir langue nationale qui est de fait un statut très symbolique, car aucun effort sérieux n'a été fait pour permettre une réelle évolution à cette langue». Pour ce militant de la cause berbère, la dernière révision constitutionnelle n'a pas du tout amélioré le statut de celle langue maternelle parlée depuis des millénaires par une grande partie du peuple algérien. «Depuis cette dernière révision constitutionnelle, tamazight a un statut de langue officielle de seconde zone. L'arabe étant langue officielle de l'Etat et la langue amazighe est dite langue officielle sans ajouter de l'Etat. Ce qui est un non-sens puisque le statut officiel signifie en lui-même expression de l'Etat», se désole-t-il, non sans évoquer le statut toujours précaire, selon lui, de cette langue en dépit de son officialisation. «Dans le préambule de la Constitution, on a abordé la question de l'identité algérienne qui devient arabe, africaine, musulmane, méditerranéenne, sans faire mention de son identité amazighe. Si on ajoute l'article 178 qui cite les cas d'irréversibilité, c'est-à-dire ce que les Constitutions à venir ne peuvent pas remettre en question, l'amazighité dans ses composantes culturelles et identitaires ne font pas partie. Cela suppose qu'on laisse la porte ouverte pour revenir sur toutes les avancées acquises en matière d'amazighité», se désole l'infatigable militant de tamazight.