C'est à partir du postulat que Paris serait le centre littéraire universel que le chercheur Kaoutar Harchi a entamé son intervention en hommage à l'immortelle Assia Djebar, mardi soir à l'Institut français d'Alger. Kaoutar Harchi n'a jamais rencontré la romancière Assia Djebar. Cependant, elle s'est, depuis ses recherches en sociologie de la littérature, spécialisée dans la littérature de personnalités littéraires, à l'image de Kateb Yacine, Boualem Sansal, Kamel Daoud ou encore Assia Djebar. «On pourrait partir de l'idée très simple qu'il existerait un centre littéraire, éditorial qui se prétend universel et qui se trouve être Paris, la capitale française, et disons un système de littératures périphériques issues des anciennes sociétés colonisées. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment ces sociétés excentrées, éloignées du centre littéraire parisien, accèdent ou pas, avec quelles difficultés, ambivalence, à partir de quelles modalités… et comment la littérature française, en tant qu'institution et en tant qu'idéologie reconnaît ou ne reconnaît pas, avec ambivalence ou pas et parfois avec des contradictions, les auteurs qui sont issus de ses anciennes colonies», a précisé le chercheur. C'est aussi à partir de là qu'elle s'est arrêtée sur le cas d'Assia Djebar. Un cas qui s'est notamment révélé très intéressant du point de vue politique dans l'ouvrage «L'Amour, la fantasia» roman, J. C. Lattès/Enal (1985). Dans cet ouvrage, Assia Djebar a proposé une littérature qui se présente comme un contre-discours colonial. «Elle décide de réécrire l'histoire coloniale à partir d'un autre point de vue qui n'est pas celui des dominants vainqueurs mais qui est celui des vaincus», a confié le chercheur. Une manière d'écrire, post-coloniale, est une affirmation d'opposition et elle s'est exprimée par ailleurs dans sa forme esthétique, linguistique spécifique… et elle s'inscrit dans le cadre particulier du roman, a-t-elle précisé. Pour réussir, Djebar est passée par les USA La rencontre animée par Kaoutar Harchi a quelque peu brouillé l'image mythique que produisait Assia Djebar sur ses lecteurs en Algérie. Finalement, Assia Djebar n'aurait été reconnue en France que parce qu'elle a réussi d'abord à faire reconnaître son travail aux Etats-Unis, en Italie et en Allemagne. Des pays où elle avait décroché d'éminentes distinctions telles que le Prix international de Palmi (Italie) 1998, le Prix Marguerite-Yourcenar (Boston) 1997 ou encore l'International Literary Neustadt Prize (Etats-Unis) 1996… Et concernant son élection à l'Académie française, celle-ci n'a été possible parce que longtemps Assia Djebar l'a préparée. Elle a dû pour ce faire, établir des contacts privilégiés avec les membres, engageant dans le sillage une véritable campagne politique pour au final parvenir à être choisie. A ce propos, Kaoutar Harchi dira que «pour accéder à la prestigieuse Académie française, vous devez rédiger une lettre. Lettre qui malheureusement n'est pas accessible puisque les archives de l'Académie française sont interdites d'accès pendant une trentaine d'années. Assia Djebar comme ses pairs a dû mener une campagne officieuse qui, généralement, est matérialisée par des rencontres et des coups de fil… Assia Djebar a eu dans sa démarche à faire valoir ce qu'elle pouvait apporter de plus à l'Académie française».. Cette dernière a, durant son intervention qui aura duré une heure, démontré que le mythe a bien souvent pris le dessus sur la réalité qui s'est toujours imposée à tous ceux qui œuvrent pour obtenir le prestige de la reconnaissance. Une reconnaissance qui, dans le cas d'Assia Djebar, lui a été accordée mais à quel prix lorsqu'on connaît le chemin de croix qu'elle a dû employer pour parvenir à se hisser auprès de l'élite de la langue française et universelle. Assia Djebar, nous apprend Kaoutar Harchi, a, dès sa sélection, remis de l'ordre dans la perception qu'ont pu se faire ses pairs sur sa personnalité et son travail. Cet ordre, elle l'a rétabli notamment dans son discours de réception en juin 2005 où elle plaida pour aussi bien sa culture, son histoire que pour la langue arabe.