La guerre en Libye a-t-elle déjà commencé ? Quels sont les risques de déstabilisation pour l'Algérie ? Pourquoi l'Occident et ses relais dans la région tiennent-ils à intervenir militairement dans l'ex-Jamahiriya ? Est-il déjà trop tard pour sauver la fameuse solution politique défendue par l'Algérie ? C'est à toutes ces questions et d'autres encore que le professeur Liès Boukra, directeur de l'Institut national des études de stratégie globale (Inesg), a tenté de répondre hier au forum du journal gouvernemental «Echaâb». Traiter de la brûlante – au propre et au figuré – question libyenne sous toutes ses formes et ses implications, revient ipso facto à évoquer les défis et les menaces qui planent sur notre pays. Et pour cause, l'Algérie est quasiment le seul pays de la région, voire du monde, qui s'accroche à l'espoir filiforme d'une solution politique. Dans l'exposé pertinent et très documenté de l'expert, transparaissait assez clairement cette fatalité que l'action armée contre la Libye est une certitude presque mathématique. «Nous sommes les seuls à vouloir la paix en Libye», lance, réaliste, Liès Boukra. Il en veut pour preuve que le Maroc, devenu un «foyer de djihadistes depuis quelque années», est disposé à jouer le «rôle de la Jordanie» dans l'expédition qui se prépare contre la Libye. La Tunisie, qui un temps était allergique à toute intervention militaire étrangère, explique Liès Boukraa, semble avoir changé son fusil d'épaule. Quant à l'Egypte dont le régime d'Al Sissi est «dépourvu de toute légitimité» interne et externe, il est logiquement enclin à sous-traiter pour l'Occident en Libye pour (re)devenir fréquentable. Il va de soi que, vue du Caire, la «Libye est la profondeur stratégique de l'Egypte», souligne le directeur de l'Inesg pour qui les partisans de la guerre «constituent clairement le clan dominant». Transition faite, Liès Boukraa estime que l'intervention qui se prépare en Libye et avant elle contre la Syrie, voire même le Yémen via l'Arabie saoudite, participent d'un «plan de recomposition géostratégique de la région Mena conçu par les USA pour faire d'Israël une puissance hégémonique dans toute la région». L'Algérie seule contre tous… C'est un peu la copie revue et corrigée du fameux «chaos constructif» créé par les faucons de la Maison-Blanche sous George W. Bush en Irak pour donner corps au fumeux Grand Moyen-Orient (GMO). Le «printemps arabe» n'est, d'après l'expert, que l'expression de cette volonté du capitalisme mondial incarné par les puissants de l'Occident, de «casser des Etats-nations pour reconstituer les empires coloniaux et disposer de leurs ressources». «Pour survivre à sa crise, le capitalisme mondial doit rechercher des matières premières bon marché en agissant sur les ruptures des équilibres internes des pays ciblés», souligne le directeur de l'Inesg. Et il se trouve que c'est dans les pays d'Afrique et du Monde arabe où il y a une abondance de ces ressources. Ces pays sont tellement vulnérables économiquement et politiquement que les puissants agissent sur leurs «relais locaux» pour attiser les clivages tribaux et ethniques pour aboutir à des «redécoupages territoriaux». C'est précisément à ce modus operandi que semble recourir une nouvelle fois les alliés de l'Otan et leurs suppôts de la région en Libye. Liès Boukraa pense ainsi que l'Occident y a sciemment «surdimensionné l'islamisme pour attiser tous les autres conflits, ethniques, tribaux et identitaires, avec comme toile de fond le conflit russo-américain». L'échec de ce qu'il convient d'appeler le «printemps arabe» traduit, selon l'invité du journal Echaâb, une réalité, à savoir que les «relais locaux dans les pays ciblés (Syrie, Libye, Egypte, Yémen…) n'étaient pas suffisamment mûrs pour prendre le pouvoir et permettre aux alliés atlantistes de pouvoir réussir l'entreprise de domestication». Vulnérabilités Mais le retour annoncé des troupes de l'Otan en Libye prouve que le «capitalisme mondial», selon l'expression de Liès Boukraa, est plus que jamais décidé à faire aboutir son plan de recomposition géopolitique et géostratégique dans la région, quitte à provoquer une conflagration. L'Algérie, qui est directement impactée, se retrouverait ainsi dans une position bien délicate face à un voisinage crisogène et potentiellement contagieux. Que faire alors ? «L'Algérie ne peut survivre seule face à cette recolonisation rampante», estime l'expert, qui recommande de rejoindre l'une des forces en présence – sans renier les valeurs de notre Histoire – à savoir l'Occident et les USA, la Russie ou la chine. L'expert s'inquiète d'autant plus que le secteur informel si volumineux en Algérie «est un puissant vecteur de la déstabilisation du fait qu'il soit dépendant du capitalisme mondial». Aussi, la question des touaregs et des berbéristes pourrait, pour peu qu'elles soient encouragées, avoir «un effet d'amplification». «Ne pensez-vous pas qu'il faille urgemment lancer un débat sur la sécurité nationale ?», interroge un colonel de l'armée à le retraite et néanmoins expert des questions de défense. «Oui, absolument», acquiesce le directeur de l'Inesg pour qui la société algérienne dans ses différentes strates doit être informée des enjeux parce que, glisse-t-il, «la sécurité nationale n'est pas uniquement une affaire de militaires». Un débat sérieux qui mérite en effet d'être «jetée dans la rue», comme l'a été la Révolution de Ben M'hidi.