La Direction des services agricoles (DSA) de la wilaya de Annaba a décidé d'annuler l'assemblée générale ordinaire (AGO) de la Coopérative agricole régionale des cultures industrielles Lalaymia Lakhdar, récemment organisée. Le premier responsable de la DSA a souligné la nullité des résolutions prises lors de cette AGO. Il a justifié sa décision par le fait qu'elle s'était tenue en présence de 21 délégués sur les 82 élus par les 1200 agriculteurs adhérents. Même s'ils sont gardés dans la confidentialité, les motifs sont nombreux. Au regard des éléments préliminaires de l'enquête judiciaire en charge de la brigade de recherche et d'investigation de la Gendarmerie nationale du groupement de Annaba, ils sont graves. En fait, l'affaire de la Coopérative agricole régionale des cultures industrielles Lalaymia Lakhdar (Carsi) représente le plus gros dossier des atteintes à l'économie nationale en instance d'instruction par les magistrats du tribunal correctionnel de Annaba. Il ne peut pas en être autrement au regard de l'importance des biens mobiliers et immobiliers propriétés de cette coopérative dans les wilayas de Annaba et de Tarf. A eux seuls ceux de la Tabacoop Annaba, avec plusieurs unités de production de concentré de tomate, de coton, d'huile d'olive, de tabac, des hangars, des locaux commerciaux, des logements et des engins, se chiffrent à plusieurs centaines de milliards de dinars. S'ils ne sont pas à l'état de ruine car livrés à l'abandon, à la dilapidation et au vol, ces biens, tels les hangars et les locaux commerciaux, sont loués à des opérateurs économiques privés sur la base de transactions de location que les enquêteurs ont estimé être douteuses. «Dès mon installation et compte tenu du fait que cette coopérative gérée par un conseil de gérance posait des problèmes, j'ai déclenché une enquête interne. Elle nous a permis de découvrir de nombreuses anomalies dans cette gestion où personne n'est responsable et où n'importe qui peut faire n'importe quoi. J'ai saisi les services de la wilaya et ma tutelle pour les suites utiles», a affirmé Ayat Abdenacer, directeur des services agricoles de la wilaya de Annaba. Les suites interviendront en 2008 à la faveur d'une demande officielle d'ouverture d'une enquête judiciaire transmise à la Gendarmerie nationale par le ministre de l'Agriculture et le wali de Annaba. «Une plainte devrait suivre dans les prochaines semaines», précise notre interlocuteur. Procédure d'audition par les magistrats Elle est synonyme de la procédure d'audition par les magistrats des personnes citées dans la longue liste établie par les enquêteurs à l'issue de leurs investigations. Celles-ci sont loin d'être closes. D'autant qu'elles ciblent, entre autres, la gestion, qui fait désordre, du riche patrimoine immobilier et immobilier de la coopérative, des risques bancaires pris pour des acquisitions d'équipements dont celui de la conserverie Essaada saisie par la BNA par la suite, de recettes et de dépenses non enregistrées ou injustifiées, du laisser-aller dans la marche des affaires des unités de production Essaada, Ben M'hidi et Bouteldja, des locations des locaux commerciaux, hangars et autres biens immobiliers, des engins et véhicules qui auraient disparus, des salaires et indemnités indûment versés… Egalement ciblées, les pratiques de gestion archaïques et ambiguës, à l'image de la perception d'importants montants de loyers perçus en contrepartie de la remise aux locataires d'un simple bon «pour acquit». «Depuis mon installation dans les locaux qui m'ont été loués par la coopérative, on me remet un petit bout de papier cacheté non numéroté justifiant la somme versée», révèle un des locataires ayant requis l'anonymat. Le milieu agricole en débat La présence des enquêteurs a suffi à plonger le milieu agricole des wilayas de Annaba et de Tarf dans un de ces grands débats dont il est coutumier. Lors des réunions, sur les terres agricoles, au siège de la Chambre d'agriculture comme dans les rencontres et conciliabules secrets, l'affaire Carsi n'a pas fini de rebondir, de diviser et de bousculer les clivages traditionnels. Il faut dire qu'après plusieurs années de mutisme dans lequel s'étaient confinés ses prédécesseurs face à ce scandale, l'actuel DSA a lancé un véritable pavé dans la mare. Du coup, l'enquête s'est accélérée. Ce qui a eu pour autre réaction l'agression dont a été victime un cadre de la direction de l'agriculture de la wilaya de Annaba. Le premier responsable de cette institution ne s'est pas posé de question, lui qui a poursuivi en justice l'auteur. Ce dernier n'est autre que le président de la Chambre d'agriculture et aussi un des plus anciens membres du conseil de gérance de la Carsi. «A la suite de l'agression commise par le président de la chambre d'agriculture sur un de mes collaborateurs, nous avons déposé plainte. Jugé en première instance, il a été condamné à 6 mois de prison avec sursis. Nous avons également saisi les membres de cette chambre à l'effet de provoquer une assemblée générale avec pour ordre du jour l'exclusion de ce président», a révélé M. Ayat. Que cache la décision de l'actuel conseil de gérance de transférer le siège de la direction de la coopérative de Annaba à Tarf ? Pourquoi ce transfert est-il intervenu quelques jours avant le déclenchement de l'enquête judiciaire par la Gendarmerie nationale ? «Le transfert du siège est illégal. L'article 6 des statuts de la coopérative conditionne cette opération à la saisine préalable du ministère de l'Agriculture. Ce qui n'est pas le cas», précise le premier responsable de la DSA. A ce transfert litigieux s'ajoute la convention signée par le même conseil de gérance avec un opérateur turc pour l'exploitation en toute autonomie de la conserverie de Bouteldja (Tarf). Constamment déficitaire depuis sa création alors qu'elle était gérée par des Algériens, cette conserverie s'est transformée en «pondeuse de performances» en termes de chiffre d'affaires. En quelques jours, cette affaire Carsi a donc chamboulé tout le paysage agricole de Annaba à Tarf. La direction de l'agriculture tente de remettre de l'ordre en débusquant dans leur quiétude les gérants de la coopérative. Sa démarche a imposé aux autorités locales et nationales de s'interroger enfin sur ce dossier sur lequel pendant des années, appréhendant des représailles de la mafia politico-financière très active à Annaba, beaucoup de responsables se sont tus. Du côté du conseil de gérance, l'on parle de sérénité et de légalité des activités et des opérations engagées par la coopérative. Il est également question de grosse pression sur les membres du conseil de gérance pour leur imposer de quitter la place. «Le transfert de notre siège est tout ce qu'il y a de légal, comme l'est également l'assemblée générale ordinaire que nous avons récemment tenue. Notre coopérative qui regroupe 1200 adhérents attise les convoitises de certains», explique un des membres de ce conseil.