Ceux qui s'attendaient à des révélations fracassantes de Chakib Khelil, après ses déboires de trois ans, ont déchanté. Invité avant-hier par Ennahar TV, juste après avoir été honoré par une zaouia à Djelfa, l'ancien ministre de l'Energie n'a fait aucune révélation et n'a osé aucune dénonciation du DRS et son chef, le général Toufik, malgré l'instance du journaliste. Alors que le secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, qui a mené une bataille en faveur de la réhabilitation de l'ancien ministre, accusant ouvertement le DRS et le général Toufik d'avoir fabriqué le dossier contre lui, Khelil a surpris les téléspectateurs en refusant de s'en prendre à Toufik ni à ses services. «Je ne sais pas qui est le responsable (de mes déboires)», répond-il à chaque fois. «Est-ce que Chakib Khelil a payé le prix de sa fidélité au président Bouteflika ?», interroge le journaliste. «Je ne sais pas. Je n'ai pas d'informations là-dessus», répondra l'ancien ministre. «Y avait-il une volonté de nuire au président Bouteflika en s'attaquant à Chakib Khelil ?», relance le journaliste qui donnait l'impression de solliciter son invité afin qu'il s'en prenne au DRS et son chef. «Je n'ai pas d'éléments (là-dessus). Je n'ai pas de preuves», insiste l'ancien ministre. Le DRS et le général Toufik sont-ils responsables de sa mésaventure ? «Je n'ai aucune preuve pour dire ça», répond Khelil, tout en soutenant que le dossier de corruption de Sonatrach a été fabriqué et gonflé par les journaux. Malgré les réponses sèches de l'ancien ministre, le journaliste insiste toujours en lui demandant s'il allait poursuivre en justice ceux qui sont responsables de son malheur, en citant le général Toufik et l'ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi. Chakib Khelil réitère : «Je n'ai aucune preuve contre quiconque.» «Qui est le gagnant dans cette affaire ? La réputation du pays est la chose la plus importante. Moi, je regarde l'avenir. Il faut tourner la page et aider à améliorer la situation», a ajouté l'interviewé. Même les affaires en justice en Italie, en Suisse et aux Etats-Unis, l'ancien ministre considère qu'il s'agit d'histoires préfabriquées par les journaux. En revanche, Chakib Khelil a affirmé que les officiers du DRS «savaient tout, avaient tous les dossiers et toutes les informations sur tous les cadres de Sonatrach et du ministère». En guise de critique contre le défunt DRS, l'orateur s'est contenté juste de regretter que 30 agents de ce département ont perquisitionné sa maison à Oran dans le sillage de l'enquête relative au scandale de Sonatrach. Chakib Khelil a affirmé, en outre, que contrairement à ce qui se dit, il n'a aucune fortune. Selon lui, il n'a que ses deux retraites (l'une accordée par la Banque mondiale et l'autre par le gouvernement algérien) comme ressources. Chakib Khelil a profité de la tribune pour affirmer qu'il jouit uniquement de la nationalité algérienne. «Je suis très heureux d'être dans mon pays, je suis prêt à aider dans n'importe quel domaine», a-t-il déclaré, en démentant les informations selon lesquelles il disposerait de la nationalité américaine. Ce qui revient à dire que l'article 51 de la nouvelle Constitution qui interdit aux binationaux d'accès aux hautes fonctions étatiques et politiques, n'est pas applicable sur l'ancien ministre de l'Energie. Cette affirmation et cette disponibilité, couplée aux affirmations du patron du FLN selon lequel l'ancien ministre méritait un poste supérieur à celui de simple ministre, sont-elles annonciatrices de la future fonction officielle Chakib Khelil ? Partis et juristes s'expriment: Respecter la présomption d'innocence L'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, occupe de nouveau le devant de la scène. Sa première sortie publique et médiatique vendredi dernier à Djelfa, où il a été reçu par une zaouïa qui tenait à l'honorer, a provoqué une levée de boucliers chez de nombreuses personnalités politiques. Une apparition publique qui n'a pas manqué de susciter moult interrogations également dans l'opinion publique désorientée. Pour le parti politique de Sofiane Djilali, Jil Jadid, le retour de Chakib Khellil confirme si besoin est le fonctionnement peu orthodoxe de la justice qui demeure, selon lui, otage du «clan présidentiel». «Habitué à faire avaler des couleuvres aux Algériens, le pouvoir en place veut l'imposer au pays, à la tête de ses affaires publiques, de ses réserves de change et du peu de richesses encore disponibles comme Sonatrach…», s'emporte le président de Jil Jadid dans un communiqué diffusé hier après-midi. Sofiane Djilali pense que le retour de Khelil, sa «réhabilitation» n'est ni plus ni moins qu'une manœuvre destinée à tromper l'opinion publique mais, plus grave, elle est destinée à absoudre un certain nombre de personnes de leurs crimes de corruption. «Le régime tente un passage en force pour prendre toutes les garanties d'impunité et se maintenir envers et contre tous aux commandes d'un pays trahi», peste encore Sofiane Djilali qui estime que même «innocent», «pourquoi ce monsieur spécialement devrait-il revenir aux affaires ?» «Il n'y aurait donc nulle part des Algériens capables de gérer des responsabilités à ce niveau ? Sa gestion personnelle de Sonatrach et du ministère de l'Energie, en dehors de toute institution de contrôle, est pour le moins controversée. Comment peut-il être présenté par la propagande officielle comme un sauveur ?», s'indigne M. Djilali. «Une affaire politique» Même son de cloche chez le parti du FJD. Le député Lakhdar Benkhelaf, joint par nos soins, rappelle l'initiative du groupe parlementaire de son parti qui a saisi publiquement le Parlement il y a plusieurs mois pour demander les raisons de «la non-application» du mandat d'arrêt international émis contre Chakib Khelil. «On nous a dit que c'est une affaire entre les mains de la justice algérienne et que le Parlement n'est pas habilité à se prononcer sur des affaires de justice», rappelle-t-il. Avant de se demander : «Pourquoi, à ce jour, la justice ne réagit-elle pas. Qu'est-elle devenue ? C'est donc ça la séparation des pouvoirs ?» L'ancien ministre de la Justice Mohamed Charfi, lui-même, nous a clairement dit que Chakib Khelil est poursuivi par la justice algérienne, affirme notre interlocuteur qui s'étonne devant le silence «intrigant» de la justice. Pour M. Benkhelaf, il s'agit ici d'une preuve très claire que toute cette affaire est gérée politiquement loin du «marteau» de la justice. «Présumé innocent» Pourquoi la justice devrait-elle réagir ? «Les lois de la Constitution sont claires», estime le juriste Farouk Ksentini, également président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH). Pour le juriste, «la justice a toutes les latitudes de réagir ou pas, tel que stipulé dans les lois constitutionnelles». Interrogé, Farouk Ksentini, qui refuse tout commentaire sur la sortie publique de Chakib Khelil, estime que «si la justice juge utile et juste d'appréhender et de poursuivre ‘le mis en cause', elle le fera en toute indépendance. Et même si les faits de corruption sont établis, la loi ne dit pas que la personne incriminée doit être interpellée immédiatement. La justice a un délai de trois ans tel que défini par la loi», affirme le juriste qui ne manque pas de rappeler le principe de présomption d'innocence. «Un jeu pervers des médias» La manipulation des médias au cœur de l'affaire Khelil ?! Clairement oui pour le FLN. Le chargé de communication Hocine Khaldoune a tenu d'emblée à exprimer sa colère contre le «jeu pervers» des médias qui ont, selon lui, une responsabilité évidente dans toute la tournure prise par cette affaire. «Chakib Khelil réhabilité contre qui ? Contre quoi ? Qu'a-t-il fait ? Avez-vous des preuves ?», demande notre interlocuteur. Pour lui, il n'est aucun doute que toute cette affaire soit le résultat de «manipulation politique et médiatique». «La justice, si elle a des preuves, est souveraine», ajoute-t-il. «Personne ne peut se substituer à la justice. Laissons-la faire son boulot», ajoute encore Hocine Khaldoune, qui n'omet pas de faire savoir que Chakib Khelil a tout à fait le droit de s'exprimer comme il veut tant qu'il est «présumé innocent».