Alors que la faim chronique guette quelque 100 millions de personnes dans le monde, et surtout en Afrique, suite à la flambée sans précédent des prix des produits alimentaires de base, ayant augmenté de 60% l'an dernier, les dépenses militaires dans les pays riches ont atteint des niveaux record. Un expert du FMI prédit que, «si la crise devait persister, elle deviendrait une question de vie ou de mort qui pourrait conduire à des troubles sociaux, voire à des guerres civiles». Selon des chiffres de la Banque mondiale, «50 millions de personnes sombreront dans la pauvreté cette année à cause de la crise». Le Fonds monétaire a annoncé cette semaine qu'il doit vendre «sous peu plus de 400 tonnes métriques de ses réserves d'or afin de financer jusqu'à 6 milliards de dollars en prêts à taux zéro aux pays les moins développés». C'est que sous prétexte de la crise économique et financière créée par les grands spéculateurs des pays riches, du genre de l'escroc américain, Bernard Maddof, les dirigeants des puissances mondiales rognent sur l'aide au développement promise aux pays les moins avancés du monde. Au moment où un organisme spécialisé rend publics les chiffres faramineux des dépenses militaires, qui se sont élevées dans 15 pays, à «1464 milliards de dollars, en hausse de 45% sur dix ans et représentant 2,4% de la richesse mondiale et 217 dollars par habitant de la planète», des cohortes d'humains crèvent la dalle devant l'indifférence quasi générale. Les appels répétés du directeur général de la FAO, le Sénégalais, Jacques Diouf, au « renforcement du système planétaire de gouvernance de la sécurité alimentaire mondiale et au changement des aspects du commerce international qui ont entraîné un surcroît de faim et de pauvreté», ne trouvent pas d'oreilles attentives chez les dirigeants du monde. «Nous devons construire un système de gouvernance de la sécurité alimentaire mondiale plus cohérent et plus effectif, nous devons corriger les politiques et le système international d'échanges qui ont entraîné une aggravation de la faim et de la pauvreté», a averti Diouf il y a quelques jours à Saint-Pétersbourg à l'ouverture du Forum céréalier mondial en présence de hauts responsables russes et de ministres de l'Agriculture de plus de 50 pays. «Ce qui est important aujourd'hui c'est de réaliser que le temps des paroles est désormais révolu», a-t-il ajouté, estimant que le moment est venu de «passer à l'action». A ses yeux, «la crise alimentaire nous a appris que pour vaincre la faim, nous devons nous concentrer sur ses causes profondes et cesser de nous occuper des conséquences des erreurs du passé.» L'expert issu d'un pays parmi les plus avancés du monde, a rappelé que «les prix moyens des denrées alimentaires sont toujours 17% plus élevés qu'en 2006 et 24% de plus qu'en 2005. Quant au rapport stock/utilisation des céréales, il était de 20,2% en 2007-2008, soit son plus bas niveau en 30 ans». Cette situation «a fait grimper de 115 millions le nombre d'affamés dans le monde», a-t-on constaté amèrement. Dans une étude menée par la FAO, aujourd'hui, «un milliard de personnes ont faim, soit 15% de la population mondiale». et «depuis le mois dernier, 31 pays se trouvent dans une situation de crise alimentaire nécessitant une aide d'urgence», dont une vingtaine sont en Afrique, neuf en Asie et au Moyen-Orient et deux en Amérique centrale et les Caraïbes». Diouf qui juge cela «inacceptable», s'est demandé comment est-il possible d'expliquer à «des gens sensés et de bonne volonté une telle situation dramatique dans un monde où les ressources internationales abondent et alors que des milliers de milliards de dollars sont dépensés pour stimuler l'économie mondiale». Un système à visage inhumain En réalité, ces sommes faramineuses sont injectées dans les banques occidentales en faillite pour perpétuer le système ultra libéral à visage inhumain, où le super profit est la règle. L'appel du directeur général de la FAO à mobiliser «une part plus importante de l'aide au développement pour les pays en développement afin d'augmenter leur production agricole», reste une éternelle antienne qui n'apaise guère la faim dans un monde égocentriste. Alors que la FAO plaide pour des investissements dans les infrastructures rurales, la garantie de l'accès aux intrants modernes, pour «faire bénéficier les petits paysans de l'assistance d'institutions de soutien approprié», on assiste depuis peu à une razzia des terres des pauvres par les nouveaux riches. Ces derniers issus de pays pétroliers du Golfe, de Chine, de Corée du Sud et d'Inde, notamment, achètent ou louent ces terres supposées inexploitées avec la complicité des dirigeants véreux, non pas pour développer l'agriculture locale au profit des peuples africains et asiatiques, mais pour décupler leur profit en exportant les fruits récoltés. Ce phénomène serait d'un grand bienfait pour les pays pauvres et en développement si la production agroindustrielle permettait de «développer des terres sous-exploitées et d'augmenter la base de production vivrière mondiale, tout en fournissant aux pays pauvres les ressources dont ils ont tant besoin», pensent les associations de fermiers en Afrique. Or, sur le terrain, on assiste réellement à une nouvelle forme de «spoliation foncière» néocoloniale. Surfaces détournées Alors que des populations entières meurent de faim à petit feu faute de denrées alimentaires de base, à prix modique, certains de ces investisseurs produisent des céréales et autres produits agricoles de première nécessité qui sont utilisés dans la fabrication de… biocarburants. Selon l'enquête d'une ONG américaine, des vastes étendues de terre et d'importantes sommes sont en jeu. Elles équivalent à la superficie totale cultivée en Allemagne, soit de 15 millions à 20 millions d'hectares. Les investissements consentis «atteignent jusqu'ici 20 milliards à 30 milliards de dollars, une somme gigantesque comparée aux budgets alloués à l'aide agricole internationale», ajoute-t-elle. Les enquêteurs soupçonnent un «manque de transparence» dans bon nombre d'accords entre les gouvernants et les pays et autres multinationales qui acquièrent ces terres cultivables. Quant aux sommes en jeu, elles «restent souvent obscures», confient-ils, assurant que «les investissements agricoles sont tels qu'ils offrent rarement à la population locale une véritable part de profit». Ainsi, en Zambie, les fermiers affirment ne pas être opposés à ces accords, «qui permettront d'obtenir de grosses sommes d'argent pour financer le développement des infrastructures agricoles, en plus d'augmenter la production alimentaire mondiale», mais ils disent devoir «prendre conscience que dans la plupart des pays en voie de développement, comme ceux d'Afrique, une majorité de petits agriculteurs ont des droits coutumiers et risquent d'être expulsés de leurs terres». Et c'est arrivé notamment à Madagascar, où cette razzia a donné lieu à des émeutes qui ont même fait tomber le gouvernement. «La portée et les modalités des contrats varient énormément : certains accords ne prévoient pas l'acquisition directe des terres, mais visent au contraire à assurer une production alimentaire par le biais de l'agriculture contractuelle et d'investissements dans les infrastructures rurales et agricoles, notamment dans les systèmes d'irrigation et les routes ; ceux-là sont les meilleurs accords», estiment les défenseurs des agriculteurs. Cet exemple existe en Algérie et concerne les contrats passés avec les Emiratis dans le domaine agricole. Un terreau pour le profit Ailleurs et notamment en Afrique de l'Est, «les sociétés étrangères sont là pour faire du profit et les petits agriculteurs n'ont guère de bénéfices à en tirer, quoi qu'ils fassent pousser ici», constate-t-on. Les défenseurs des fermier africains avertissent à cet égard, que «ces terres, où se trouvent aujourd'hui des petites exploitations, ou des forêts, ou quoi que ce soit d'autre, seront transformées en grandes propriétés industrielles, liées à des marchés lointains». Certes, la planète peut largement nourrir la population mondiale, mais sans une répartition équitable de ses richesses agricoles, une partie de l'humanité (en Afrique et en Asie, l'agriculture occupe 80% de la population) risque de s'enfoncer dans la pauvreté et la famine. Le Fonds international pour le développement agricole (FIDA), estime que «la production de nourriture joue un rôle important pour réduire la pauvreté et la dépendance vis-à-vis de l'aide alimentaire» , affirmant qu'une «augmentation des investissements dans les petites exploitations agricoles, qui représentent 95% de l'agriculture en Afrique, pourrait mettre le continent sur la voie d'une production alimentaire durable». Pour cet organisme onusien, cependant, «de nombreuses déclarations ont été signées en vue d'améliorer l'agriculture en Afrique mais les seules déclarations ne suffisent pas à nourrir les affamés, elles ne mettent pas fin à la famine». C'est ainsi que le Programme alimentaire mondial (PAM) vient d'avertir contre «le risque d'une crise humanitaire pouvant affecter des millions de personnes dans la Corne de l'Afrique, en raison de la sécheresse, des conflits et du manque de nourriture». Ce n'est pas en laissant des multinationales accaparer les terres des pauvres que sera résolu le problème de la faim dans le monde.