Mohamed Ali s'est éteint à l'âge de 74 ans, vendredi à Phoenix, en Arizona. Champion du monde à trois reprises, il aura régné sur l'âge d'or des poids lourds et forgé sa légende par ses luttes en dehors du ring. L'immense champion de boxe Mohamed Ali est décédé vendredi soir à Phoenix, à l'âge de 74 ans. Hospitalisé depuis jeudi, l'ancien triple champion du monde de boxe et champion olympique 1960 a succombé à des problèmes respiratoires. Sa famille avait annoncé précédemment que le traitement de son état était rendu plus difficile par la maladie de Parkinson dont il souffrait depuis trois décennies. A la croisée du mythe et du scénario hollywoodien, la vie de Cassius Clay – le nom d'origine de Mohamed Ali – bascule sur un banal larcin. Et qui sait, celle-ci aurait été sans doute radicalement différente si, cet après-midi d'automne 1954, parti s'empiffrer de pop-corn, l'étourdi n'avait pas laissé son vélo tout neuf à la merci du premier voleur de passage. Vexé, le jeune Clay veut en découdre et se rend dans une salle de boxe. Douze ans, quarante kilos tout mouillé, mais déjà plein d'aplomb. «Ce gars est foutu, je vais le terminer à la première reprise», prédit-il à la gazette locale avant son premier combat. Fils d'une famille modeste, Clay grandit à Louisville, cité industrielle du Kentucky déchirée par la ségrégation raciale. Plus à l'aise sur les rings que sur les bancs de l'école, il remporte, en 1959, le prestigieux tournoi des Golden Gloves. A Rome, l'année suivante, il surpasse sa peur de l'avion pour s'adjuger l'or olympique, chez les mi-lourds. Après une centaine de rencontres amateurs, le phénomène passe professionnel à 18 ans sous la tutelle d'Angelo Dundee, son homme de coin de toujours. Spectaculaire par son jeu de jambes et ses esquives d'un temps nouveau, Clay monte rapidement dans la hiérarchie des poids lourds. A peine quatre combats à son actif, il ridiculise Ingemar Johansson, ex-roi de la catégorie, lors d'une séance de sparring. Insolent, il déclame, parfois en vers, des odes à son talent devant la presse qui se délecte. En 1962, il envoie au tapis Archie Moore, ancien champion du monde des mi-lourds. Un an plus tard, il triomphe d'Henry Cooper à Wembley et s'offre une chance mondiale face à Sonny Liston. De Cassius Clay à Mohamed Ali «Tout le monde pensait que Sonny lui fermerait sa grande gueule et le renverrait à Louisville dans un linceul», résume Nigel Collins, journaliste américain, cité par Frédéric Roux dans Alias Ali. Trop jeune, trop tendre, les bookmakers donnent Clay perdant à 7 contre 1. Ce 25 février 1964, le sacre de Clay est escorté par la controverse : Liston, invoquant une blessure à l'épaule, abandonne sur son tabouret. «Je suis le plus grand (I am the greatest)... J'ai choqué le monde !», s'exclame alors le vainqueur, hystérique face à la presse. Des archives du FBI déclassifiées en 2014 tendent à accréditer les suspicions de fraude. Les mêmes doutes naîtront de la revanche, remportée par Clay un an plus tard sur une droite anodine, le tristement célèbre «coup de poing fantôme». Fort de son titre, Clay annonce sa conversion à l'islam et prend le nom de Mohamed Ali. Il s'affiche au côté de Malcom X et Elijah Muhammad, leaders de la Nation de l'Islam. Dès lors, plus qu'il n'amuse, Ali divise et cristallise les peurs de l'Amérique blanche. Sa déclaration sur le Vietnam, alors que les Etats-Unis y sont en guerre – «je n'ai rien contre le Vietcong, aucun Vietnamien ne m'a jamais traité de nègre» – lui vaut l'opprobre des patriotes. Le fossé avec le public se creuse, ses victoires ne font plus recette. Le refus de son incorporation, en 1967, entraîne la perte de son titre. Le début d'un exil de trois ans et demi loin des rings. Exil et reconquête Malgré sa condamnation à cinq ans de prison, Ali reste un homme libre ; héros de la jeunesse pacifiste, le champion déchu enchaîne les conférences universitaires, joue dans une pièce à Broadway, ou vend ses talents comme sparring-partner. Blanchi par la Cour suprême en 1970, il perd quatorze kilos, revient sur le ring et surclasse Jerry Quarry. En son absence, Joe Frazier s'est imposé en patron des poids lourds. Leur premier duel, vendu par le promoteur Don King comme le «combat du siècle» (1971), se solde par la première défaite d'Ali et la naissance d'une rivalité immuable. Pour Ali, la reconquête de son titre passera par le Zaïre, sous la bienveillance financière du dictateur Mobutu. Dans la moiteur de Kinshasa, le 30 octobre 1974, il fait tomber George Foreman au 8e round du fameux «Rumble in the jungle». Le sommet de sa gloire, mais aussi le seuil de son déclin. Un an plus tard, Manille verra la dernière étincelle de son talent. Dans un des combats les plus violents de l'histoire, Ali scelle par une victoire l'épilogue de sa trilogie avec Joe Frazier (Ali a remporté la revanche en 1974). «J'ai vraiment eu le sentiment que j'approchais de la mort», confiait-il à L'Equipe en 2001. La chute Orgueil ou inconscience, Ali enchaîne alors les combats de trop. Dernier baroud d'honneur, il reprend son titre à Leon Spinks, qui l'avait détrôné en 1978. Quand il capitule face à Larry Holmes, deux ans plus tard, Ali n'est plus que l'ombre du champion qu'il a été. Il tire sa révérence sur une ultime défaite l'année suivante, dans l'indifférence générale. Dès 1984, les premiers symptômes de la maladie de Parkinson apparaissent. Loin des lumières du ring, Ali n'en reste pas moins sur le devant de la scène. Réhabilité depuis sa prise de distance avec la Nation de l'Islam, il est reçu à la Maison Blanche par Gerald Ford et honoré par George W. Bush. En 1990, aux prémices de la Guerre du Golfe, il se rend à Bagdad et obtient de Saddam Hussein la libération de 15 otages américains. Sous le poids de la maladie, sa déchéance physique s'accentue ; ses sorties publiques se font de plus en plus rares. L'image d'Ali, vieux avant l'âge, tremblant pour allumer la flamme olympique d'Atlanta en 1996, bouleverse le monde entier. Plus qu'un athlète, une icône culturelle, une force sociale et politique. Brillant, naïf, charmeur, impertinent, Ali laisse tant de visages de lui-même et de facéties qu'il est presque impossible de percer l'homme. Devenu le visage des malades de Parkinson, il n'avait cessé de s'engager pour la recherche contre la maladie. Digne face à son déclin, alors que l'avancée du syndrome le privait peu à peu d'élocution. Triste ironie de voir le plus grand hâbleur de l'histoire du sport réduit au silence. Reste une maxime, répétée à l'envi. L'épitaphe d'une vie de luttes, de conquêtes amoureuses et d'investissements douteux. «Les gens humbles ne vont jamais très loin.» Ses amis d'enfance témoignent «Un être incroyable» Ses amis d'enfance qui ont connu le gosse de Louisville dans le Kentucky s'en souviennent. «Cette ville l'aime, vous m'entendez… le monde l'aime…personne ne vous dira le contraire, qui parle mal d'Ali ? Il n'y a rien à dire de négatif sur lui, il aimait tout le monde, qu'importe que vous soyez étranger, il aurait fait n'importe quoi pour vous. Vous savez, je ne l'ai jamais vu en colère, c‘était juste un homme magnifique», s'enthousiasme Sonny Fishback qui l'a connu enfant. Billy Moore est le fils d'Archie Moore. Son père tenait une salle d'entraînement à Louisville où Ali venait boxer enfant : «On s'est rendu compte depuis le jour où il est entré dans la salle de boxe tenue par mon père sur E street qu'il était différent en tant qu‘être humain. Je veux dire que ce gars était certainement l‘être humain le plus incroyable que vous pouvez rencontrer. Une fois, on était à Portland ensemble à l'arrière d'une limousine, il a signé des autographes pendant quatre heures.» De son vivant, Ali était déjà une légende. Son sens de la repartie, ses engagements politiques ont fait de lui bien plus qu'un boxeur. Les boxeurs regrettent un «héros» Principales réactions au décès de l'ancien champion du monde des lourds Mohamed Ali vendredi à l'âge de 74 ans : •George Foreman, ancien champion du monde des lourds, battu par Ali dans l'un des combats les plus célèbres de l'histoire «The Rumble in the Jungle» (sur son compte Twitter) : «Ali, Frazier et Foreman, nous ne faisions qu'un. Une partie de moi s'en est allée, la plus grande partie». • Mike Tyson, ancien champion du monde des lourds (sur son compte Twitter): «Dieu est venu chercher son champion, adieu au plus grand @MuhammadAli TheGreatest RIP». • Floyd Mayweather, ancien champion des welters, invaincu en 49 combats, et jeune retraité : «Nous avons perdu une légende, un héros et un grand homme. Il est l'un de ceux qui m'ont ouvert la voie pour que je devienne celui que je suis. Les mots sont insuffisants pour dire ce que Mohamed Ali a fait pour notre sport. Personnellement, ce qu'il m'a montré, c'est qu'il ne faut jamais avoir peur, jamais arrêter de croire et jamais se contenter de moins». • Evander Holyfield, ancien champion du monde des lourds: «C'est une perte énorme. Je voulais être comme lui, il m'a inspiré (...) On m'a demandé un jour si je voulais battre son record (Ali a conquis un titre mondial des lourds à trois reprises, NDLR) et j'ai répondu non, car cela voulait dire qu'il fallait que je perde, mais pour revenir d'une défaite, il faut être plus fort encore et c'est ce qu'Ali a montré durant sa carrière». • Don King, promoteur du «Rumble in the Jungle»: «C'était quelqu'un de merveilleux, pas seulement comme boxeur mais comme être humain, comme icône. Mohamed Ali ne mourra jamais, il est comme Martin Luther King. Son esprit vivra à jamais». • Oscar de la Hoya, ancien champion sacré dans six catégories différentes, désormais promoteur : «Il est celui qui a propulsé la boxe dans son âge d'or et rendu populaire notre sport. Ali incarnait le courage, il n'a jamais choisi la facilité, que ce soit sur les rings de boxe ou en dehors. Au moment de célébrer sa vie, il faut se souvenir qu'il a toujours cherché la grandeur dans tout ce qu'il a fait». • Bob Arum, promoteur de boxe : «C'est à n'en pas douter la personne qui a le plus transformé notre époque, c'était un grand sportif, quelqu'un qui savait se faire comprendre, se faire entendre, qui disait haut et fort ce qu'il croyait être juste». • Manny Pacquiao, légende philippine de la boxe et jeune retraité : «Nous avons perdu un géant, la boxe a beaucoup profité des talents de Mohamed Ali, mais pas autant que les hommes de son humanité». Dix choses que vous ignoriez 1. Cassius Clay, son «nom d'esclave» En 1964, Cassius Clay annonce sa conversion à l'Islam et abandonne son «nom d'esclave» pour celui de Mohamed Ali. Paradoxe : le nom de Clay lui est issu d'un fervent abolitionniste américain du 19e siècle. 2. Ali était d'origine irlandaise Plus surprenant encore pour un homme qui a parfois tenu des discours prônant la séparation des races (à l'époque de son engagement pour le mouvement Nation de l'islam) : l'arrière-grand-père d'Ali, Abe Grady, était un Irlandais installé dans le Kentucky dans les années 1860. Après avoir épousé une esclave libre, il donne naissance à John Grady, lui-même père d'Odessa Lee Grady Clay, la mère de Mohamed Ali. En 2009, l'ancien champion du monde s'était d'ailleurs rendu à Ennis, une petite ville de l'ouest de l'Irlande, pour rencontrer les membres de sa famille lointaine. 3. Première «victime» : sa mère «La première personne que j'ai mis KO, c'est ma mère», disait-il. A l'âge de 2 ans, le premier crochet d'Ali coûtera deux dents à sa mère, Odessa Clay. 4. Une idole nommée Sugar En 1960, alors qu'il n'a que 18 ans, le jeune Cassius Clay fait du tapage devant le restaurant de Sugar Ray Robinson, dans le quartier d'Harlem à New York. «Tu es le roi, mon maître, mon idole ! Quand j'aurai gagné la médaille d'or aux Jeux, je veux que tu sois mon manager.» Robinson lui intime l'ordre de déguerpir. «A ce moment, je me suis juré de ne jamais repousser un fan», dira plus tard Ali. 5. Ali n'a jamais jeté sa médaille olympique dans la rivière Ohio C'est une des nombreuses légendes qui persistent : à son retour des Jeux Olympiques de Rome (1960), Ali se serait vu refuser le service dans un restaurant de Louisville et, de rage, aurait jeté sa médaille dans la rivière. Pure invention. Ali avouera plus tard l'avoir simplement égarée. Une réplique de sa médaille lui est offerte en 1996, lorsqu'il allume la flamme olympique aux JO d'Atlanta. 6. Ali était un mauvais élève L'anecdote est rapportée par William Klein, réalisateur de Muhammad Ali, the Greatest (1969), dans L'Equipe du 17 janvier 2012. «Après sa victoire contre Liston, en 1965, je me suis retrouvé avec Ali dans son motel. Un Mexicain lui a demandé un autographe et lui a dit qu'il avait beaucoup d'amis au Mexique. Ali a répondu : '' Mexico ? Ah oui, tant mieux. Comment écrivez-vous Mexico ? Je ne suis pas allé à l'école longtemps.'' C'était ça Ali. Malin comme un singe, mais sans grande culture.» 7. Boxeur, danseur mais aussi chanteur Au-delà de ses dons d'orateur, Ali avait un autre talent, plus méconnu. En 1964, peu avant son championnat du monde contre Sonny Liston, celui qui se nomme encore Cassius Clay sort un album, sobrement intitulé I am the greatest, mélange d'auto-adulation musicale et d'interprétations de grands classiques. Après la conversion d'Ali à l'Islam, Columbia records s'empressera de retirer l'album des ventes. 8. Ali a sauvé un homme du suicide Los Angeles, 1981. Un jeune homme de 21 ans se tient debout sur le bord de la fenêtre du 9e étage d'un building, menaçant de mettre fin à ses jours. La situation paraît sans issue : policiers et psychologues ont tenté en vain de l'en dissuader. Mohamed Ali, qui arrive par hasard sur les lieux, se porte volontaire pour lui parler. «Je suis ton frère, je veux t'aider», lui crie l'ancien champion du monde de la fenêtre la plus proche. Vingt minutes tendues s'écoulent au bout desquelles l'homme renonce finalement à son geste funeste. «Sauver une vie est plus important pour moi que n'importe quelle ceinture», dira Ali. 9. Son rapport à la maladie En 1984, après une semaine d'examens dans un hôpital new-yorkais, Ali apprend qu'il souffre de la maladie de Parkinson. «C'est un jugement de Dieu. Il m'a donné cette maladie pour me rappeler que je ne suis pas le numéro 1. C'est lui.» 10. Une étoile pas comme les autres En 2002, Mohamed Ali obtient son étoile à Hollywood, mais pas sur le fameux Walk of Fame. A sa demande, la sienne est incrustée dans le mur du Kodak Theater, où se déroule la cérémonie des Oscars. Ali ne souhaitait pas que son nom soit piétiné. En bref... Nom: Ali Prénom: Mohamed Date de naissance: 17/01/1942 Lieu de naissance: Louisville (Etats-Unis) Nationalité: américaine Taille: 1,88 m Poids: 100 kg Sport/discipline: boxe Catégories: mi-lourds (-81 kg) puis lourds Palmarès Jeux Olympiques Mi-lourds : 1er (1960) Championnats du monde Lourds WBA: 1964, 1967, 1974-1978, 1978-1979 Lourds WBC : 1964-1967, 1974-1978 Nombre de combats disputés: 61 de 1960 à 1981 (56 victoires dont 37 avant la limite, 5 défaites) 1er combat : bat Tunney Hunsaker aux points le 29/10/1960 à Louisville (Kentucky) Dernier combat : perd aux points devant Trevor Berbick le 11/12/1981 à Nassau (Bahamas) Distinctions Messager de la Paix de l'ONU (1998-2008) Médaille de la Paix Otto Hahn (2005) Medal of Freedom, la plus haute distinction pour un civil aux USA (2005).