Salaheddine Doumendji, chef du département zoologie à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie (Ensa), revient sur ces risques devenus patents en Algérie. Les insectes porteurs de maladies sont-ils importants en Algérie ? Je pense que oui ! Les insectes porteurs de maladies parasitaires, surtout des maladies du sang, sont assez importants, et compte tenu du réchauffement climatique, le risque est plus important. Comme l'invasion de moustiques qui viennent directement d'Asie, comme le moustique tigre asiatique qui peut transmettre aussi bien la dengue que d'autres maladies. Il s'agit précisément de moustiques du genre culex, anophèles et aèdes. Comment l'expliquez-vous ? A l'heure actuelle, nous assistons à une poussée de moustiques, notamment d'anophèles, qui sont en train de remonter depuis la zone intertropicale vers le nord du Sahara notamment et même vers le nord de l'Algérie. Les avons-nous identifiés en Algérie ? Actuellement, il y a des chercheurs qui font des missions, mais pas assez à mon avis, pour vérifier dans les différentes stations en Algérie, que ce soit à Ghardaïa, à Ouargla ou à Tamanrasset, l'arrivée de ces anophèles porteurs de plasmodium. Mais je crains l'arrivée d'autres maladies… Comme par exemple... Comme l'aloase ou la filariose à loa, qui est due au ver loa loa et est transmise par un petit diptère (mouche) dit chrysops, ou la maladie du sommeil due à la mouche tsé-tsé, au même titre les anophèles tropicales, d'ailleurs. Et même s'il s'agit de maladie tropicale, on ne sait pas exactement ce qui se passe avec cette poussée, et il faudra s'attendre à un regain du paludisme dans le sud du Sahara, comme d'ailleurs pour les autres maladies que j'ai citées. S'agit-il du même paludisme qu'on connaît en Algérie ? L'agent vecteur est différent, tout comme l'agent causal (plasmodium), de telle façon que le plasmodium qui provoque la malaria dans le sud de l'Italie est différent de celui qu'on retrouve en Algérie. Et il n'est pas écarté d'identifier une forme de paludisme Algérie. Le traitement est-il le même ? On a toujours traité le paludisme avec de la quinine, mais actuellement on essaye de la remplacer par d'autres médicaments provenant de Chine, ce qui a provoqué des résistances de l'agent causal de la maladie. Quelles devraient être les premières mesures à prendre ? Qu'il y ait une véritable organisation ou trame dans tout le Sahara pour surveiller la prolifération de ces maladies virales. La région de Tamanrasset est-elle la plus exposée ? Se trouvant au nord du Sahara, je pense qu'on craint cette région parce qu'elle accueille la première nos frères africains qui fuient la sécheresse du Sahel. Il n'est pas exclu que ceux-là soient porteurs de maladies contre lesquelles on n'est pas préparé à lutter. Dans ces conditions, les risques de propagation sont-ils importants ? Je pense que de ce côté-là, le gouvernement ne fait pas assez… pas obligatoirement ; on a pris l'habitude de laisser courir les choses alors que pour ce genre de maladies, il faut s'y prendre à l'avance, avec par exemple la destruction des agents vecteurs et les soins dont devront bénéficier dès le départ les personnes atteintes pour qu'elles ne se transforment pas en foyer pourvoyeur de maladies. Je pense d'ailleurs qu'il faut multiplier les instituts pasteur ou des succursales à cet institut au sud, comme à Tamanrasset, à Adrar ou à Ghardaïa, et encourager la recherche scientifique. C'est dans l'intérêt de la santé des populations algériennes et ce n'est pas un luxe. En est-il de même pour le bétail ? Bien sûr ! si vous prenez la dengue, ce sont les ovins qui en sont le plus menacés. Si bien que je pense qu'il faut prendre les devants et faire comme les Européens quand ils désinsectisent dans les avions ou autres moyens de transport ; c'est une procédure tout à fait justifiée. L'Ecole supérieure d'agronomie ambitionne-t-elle des projets dans ce domaine ? Il existe effectivement un projet. Il s'agit d'un travail fait par un étudiant de 5e année qui est suivi par notre département ; ce travail sera soumis soit à l'OMS soit au ministère de la santé. Et en quoi consiste-t-il ? Etablir une série de surveillances d'un certain nombre de points stratégiques au Sahara, à Tamanrasset ou à Bordj badji Mokhtar, ainsi que d'autres régions encore pour surveiller au moins les agents vecteurs et tenter d'identifier avec l'institut pasteur d'Algérie les différents virus dont ces insectes sont porteurs. Vous savez, en Algérie, il n'y a pas que les moustiques qui sont porteurs de maladies ; il y a aussi les tiques. Ces dernières sont aussi porteuses de maladies, dont la leishmaniose viscérale. Le nord algérien est-il exposé aussi à des maladies virales ? Oui bien sûr ! Rien n'empêche un moustique d'être transporté dans des bagages. L'exemple le plus éloquent est en Italie et dans le sud de la France, avec l'introduction du tigre, un moustique asiatique. L'on a eu de cesse de répéter l'adage populaire qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Mais pour le faire, qui doit-on désigner ? Il y a trois ou quatre ans, on a voulu créer une post-graduation portant sur la parasitologie ici à l'Ensa, car on voyait les choses venir, c'est-à-dire ces maladies virales. On nous a rappelé que nous devions nous occuper uniquement de l'agriculture et pas de ces choses-là, sachant que même les animaux d'élevage sont aussi exposés à ces maladies. Ce qui m'amène à poser la question : est-ce que nos responsables saisissent l'importance de l'entomologie au vu de ces viroses qui existent dans la région du sahel et qui menacent l'Algérie ?