Mélanger la musique populaire chaâbie avec la musique savante, symphonique, était un pari risqué et ambitieux mais plutôt convainquant. Et bien que des curieux conservateurs aient manifesté leur scepticisme sur les réseaux sociaux, concernant ce mélange des genres, le résultat grandement apprécié aura mis, toutefois, tout le monde d'accord. En effet, jumeler la musique populaire chaâbie avec la musique savante était le pari risqué que s'est lancé le maestro et chef d'orchestre de musique symphonique de l'Opéra d'Alger, Amine Kouider. A 23h00 tapante, la grande salle de l'Opéra d'Alger Boualem-Bessaïah, où s'est tenu ce concert, dimanche dernier, était archicomble. Et lorsque les cinquante musiciens de l'Orchestre symphonique de l'Opéra d'Alger sont entrés sur scène, ils étaient alors accompagnés de musiciens issus cette fois, d'un orchestre chaâbi, composé, entre autres, d'un bangoniste et d'un mandoliniste. Dès lors, le la de la soirée est donné. Avec sa baguette qui a fait le tour du monde, Amine Kouider, qui ne cesse d'étonner le public algérien avec sa fertile créativité, débute ce concert sur des airs de Bacchanale, une œuvre gracieuse du compositeur français décédé en 1835 à Alger, Charles Camille Saint-Saëns. On entend alors les cordes qui montent et descendent, les cuivres, eux, effrayaient, feraient presque chavirer par leur brusque rencontre avec le banjo, le Qanoun et le mandole. Bien accueilli et chaleureusement applaudi par le public venu en masse assister à ce concert, le maître d'orchestre Amine Kouider enchaîne de suite en entrant dans le vif du sujet, à savoir, le chaâbi. Les premières notes de mandole se font alors écho, délicatement rendues par le talentueux et très prometteur chanteur et musicien, Zohir Mazari. Par un petit solo sur son mandole, le jeune Zohir, qui n'a rien d'un novice puisqu'il est professeur au conservatoire central d'Alger et collabore, souvent, avec l'Orchestre symphonique de l'Opéra d'Alger en tant que musicien, soliste chanteur et parfois, en tant qu'assistant du maestro Amine Kouider, fredonne la chanson, Ya Dzayer Ya El Assima d'Abdelmadjid Meskoud avec sa voix mélancolique et feutrée. Dans cette ambiance typique des soirées ramadhanèsque algéroises, et porté avec grâce par une belle musique, Zohir poursuit son jeu instrumental et son interprétation avec Sobhan Allah Ya L'tif du maître El Hadj M'Hamed Al Anka, et Ya Moulana ya Allah d'Albdelkader Chaou. La fausse note d'Asma Alla Hésitante et peu convaincante, la jeune soliste Asma Alla interprète Rah El Ghali Rah de Kamel Messaoudi, un joyeux musical du répertoire chaâbi algérien qui aura été, disons-le, un peu malmené par cette jeune chanteuse. Cette dernière, vêtue d'un karakou et perchée sur ses hauts talons, aura aussi interprété El Barah Kan fi amri Achrine (hier, j'avais vingt ans) d'El Hachemi Guerouabi, la célèbre chanson Chehilet Laâyani d'Abdelhakim Garami inspirée du boléro cubain, Quizás, quizás, quizás, écrit en 1947 par Osvaldo Farrés et interprété pour la première fois par Mohamed Zerbout, et, enfin, Tlata Zehwa wa M'raha de cheikh Mohamed Najjar. Avec son interprétation bancale et prosaïque dépourvue d'émotion, la jeune chanteuse ne fera pas l'unanimité, sauf peut-être, pour dire que ce fut la seule fausse note de la soirée ! Poursuivant et transitant par un duo avec Mazari sur Lahmam li Rabitou d'El Anka, le concert se poursuit et garde le meilleur pour la fin, en accueillant le chanteur de chaâbi, Kamel Aziz. De sa voix rauque et affirmée, Kamel Aziz et Amine Kouider reprennent le concert en main et gratifient le public avec Had El Khatem, Sali trach Qalbi, El Maknin Zine et Oh, Ya Ntiya. A l'issue de ce concert féerique, qui aura duré une heure de temps, le maestro Amine Kouider nous dira ô combien, il apprécie la musique chaâbie. «Le chaâbi est une musique que j'adore particulièrement, car mon père a grandi dans ce milieu de chaâbi à la Casbah d'Alger, et que moi-même, j'ai baigné dans cette musique dès mon enfance. C'est un répertoire très riche auquel on a voulu donner une dimension universelle sous cette forme symphonique, avec un intérêt de diversité de couleur et de dialogue entre les mélodies. On a voulu intégrer, à la musique symphonique, les compositions des grands noms du chaâbi à travers l'interprétation d'extraits de certaines qacidates très connues. Un programme d'adaptation éclectique et varié orchestré par de grands musiciens qui sont Hocine Bouifrou, Rachid Saouli et Rabah Kadem».