L'Algérie a suspendu l'application de la peine de mort via un moratoire instauré en 1993. Vingt-quatre ans après, rien n'empêche les autorités d'aller vers une abolition définitive du châtiment. Des juristes, des spécialistes en droit et des islamologues estiment le moment venu pour que notre pays franchisse ce pas. Une campagne de sensibilisation est lancée à cet effet à l'initiative d'Amnesty international Algérie. Pourquoi l'abolition est aujourd'hui une réalité qu'il ne faut pas nier ? Tous les participants au débat organisé hier à Alger par Amnesty ont démontré la cruauté et surtout l'inefficacité de ce châtiment. Pour maître Miloud Brahimi, les algériens sont prédisposés à l'abolition définitive de la peine de mort. Il avance comme argument le fait que «personne, jusqu'à présent, ne se soit élevée contre le moratoire instauré en 1993 malgré que depuis cette année jusqu'aux années 2000, le pays a connu les pires crimes de toute l'humanité». «Peut-on alors épargner les criminels de la décennie noire et appliquer la peine pour un crime passionnel ?», s'est interrogé l'avocat. Mokhtar Bensaïd, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), a raconté, pour avoir vécu entre 1983 et 1985 les atrocités et la cruauté du châtiment. Une exécution d'un condamné de la prison Tazoult (Batna) qu'il décrit dans la douleur, notamment lorsqu'on rédigea son acte de décès en présence du procureur de la République, du président du tribunal criminel qui a prononcé la sentence, du magistrat qui recueille les derniers vœux du condamné, du médecin, de l'imam et du chef du peloton d'exécution, avant de l'acheminer vers une clairière non loin de la prison. «C'est une épreuve d'une extrême cruauté au point où j'en faisais des cauchemars durant des années», reconnut-il lorsqu'il parlera des détails de l'exécution par fusillade. Dans un autre cas, «le condamné a fait une crise cardiaque en cours de route, mais le châtiment est quand même maintenu est sera exécuté», témoigne l'avocat qui estime que «l'Algérie est en marche pour l'abolition définitive». De son côté, l'ancien procureur général, Abdelkader Benhenni, lui, pense que «même la justice n'est pas habilitée à prononcer une peine de mort, puisque le jury est aléatoire. Ce qui rend le verdict aléatoire et subjectif». Maître Benhenni prépare d'ailleurs un livre sous le titre «Peine de mort, peine absurde». Quant à l'avocat Mohamed Seghir Lakhdar, membre fondateur d'AI Algérie, «exécuter ce châtiment est tout ce qu'il y a de plus cruel dans le monde», d'autant plus que, dit-il, «il n'y a pas possibilité de réparation ou de faire marche arrière au cas où le condamné s'avère innocent». Même du côté religieux, ajoute l'orateur, «abolir la peine de mort n'est pas la négation de l'Islam». À ce propos, Saïd Djabelkheir, islamologue, a expliqué dans une intervention que «le Coran est temporel et l'on doit expliquer ses principes en prenant compte du développement de l'humanité». Faire évoluer l'opinion Les spécialistes ont plaidé à la fin des débats pour la sensibilisation en faveur de la revendication abolitionniste, avec l'association des universités et des écoles, la multiplication des campagnes et la mobilisation des acteurs de la société civile. Maître Brahimi a carrément plaidé en faveur d'une «grâce présidentielle pour les personnes se trouvant actuellement dans les couloirs de la mort en les transférant au régime normal d'emprisonnement». A l'occasion de la conférence qui coïncide avec la journée mondiale contre la peine de mort célébrée le 10 octobre de chaque année, Amnesty Algérie a lancé une vidéo d'information sur la cruauté et l'inefficacité du châtiment. «Nous voulons, à travers ces témoignages, sensibiliser l'opinion publique algérienne quant aux conditions inhumaines de l'application de la peine capitale», a déclaré Hassina Oussedik, directrice de l'antenne Algérie de l'ONG. Pour elle, «il est de la responsabilité de l'Etat et de la société civile de faire évoluer l'opinion publique, car de nombreuses personnes seraient peut-être plus disposées à accepter l'idée de son abolition si elles comprennent que cette sanction ne réduit pas la criminalité, qu'elle est irréversible et surtout qu'elle touche essentiellement les plus pauvres». Dans communiqué, AI estime que «la peine de mort est la négation absolue des droits humains. Elle est le châtiment le plus cruel, le plus inhumain et le plus dégradant qui soit». 40 ans après le premier manifeste de Stockholm (1977) pour l'abolition de la peine de mort, 105 pays au monde ont mis fin à l'application du châtiment.