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L'envoûtante, l'ensorcelante
Tigzirt
Publié dans Le Temps d'Algérie le 02 - 08 - 2009

La ville côtière de Tigzirt, située à une quarantaine de kilomètres au nord du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, à une centaine de kilomètres à l'est d'Alger et à la même distance à l'ouest de Béjaïa est incontestablement une coquette cité facile d'accès. De quelque côté que vous veniez, elle vous ouvre les bras et vous accueille avec cette chaleur qui donne l'impression, même au visiteur qui y met les pieds pour la première fois, de vous avoir déjà adopté bien avant de vous «connaître».
Tigzirt, ville à l'histoire millénaire, vous envoûte, vous ensorcelle et vous captive par la beauté de ses rivages, la limpidité de ses eaux, le calme de ses plages, l'hospitalité de ses habitants, à telle enseigne que certains vacanciers qui y viennent pour passer quelques jours de repos bien mérité, émettent le vœu sans cesse renouvelé de prolonger encore leurs vacances.
Les visiteurs sont vite captivés par la beauté de l'îlot de qui la ville tire son nom et qui s'offre à vos yeux tel un bijou posé au milieu de la mer comme par une main de maître. C'est sur cet îlot précisément que viennent nicher les oiseaux de mer qui offrent à leur tour un beau spectacle lors de leurs sarabandes.
Ce joli petit coin plein de tranquillité fait face à son tour à la presqu'île, ce promontoire calcaire «adossé» au nouveau port de pêche et de plaisance dont la jetée s'enfonce dans la mer à partir du lieu où était construit le petit embarcadère qui servait beaucoup plus de plongeoir aux enfants. Sous l'actuel port, une jolie plage, la petite plage, qui pourtant recelait un important trésor archéologique, est engloutie à jamais par le béton. Toutes les tentatives menées pour délocaliser le site qui devait accueillir le port pour précisément sauver le site archéologique ont été vaines.
Tigzirt, c'est aussi une région qui a les pieds dans l'eau, la tête à la montagne et son corps prend les allures d'un véritable puzzle qui aiguise votre désir à aller à sa découverte. Outre les ruines romaines qui témoignent de la lointaine histoire de cette ville, plusieurs fois conquise mais qui est aujourd'hui conquérante, elle a ses propres placettes où les gens viennent se rassembler en fin de journée et scruter l'horizon en regardant au loin passer les bateaux. C'est le cas de La Pointe des blagueurs qui offre un panorama envoûtant et d'où on peut admirer à souhait un joli coucher de soleil.
Tigzirt contient trois plages essentielles, toutes gardées. A l'est, c'est la plage Tassalast réputée pour son sable fin et son étendue. Plus à l'est, se trouve la Grande plage qui, elle seule est une véritable carte postale. Au milieu de cette plage qui est à quelques mètres seulement du centre-ville, a poussé un arbre qu'on a nommé «Le parasol des chômeurs». C'est ici que viennent s'abriter ceux qui n'ont pas les moyens de se payer un parasol quand le soleil est au zénith. A un jet de pierre de la Grande plage se trouve celle de Féraoun. Elle se singularise des deux autres par ses galets arrondis par le sac et le ressac des vagues et ses coquillages.
Cette plage est une destination prisée par les familles qui y viennent par centaines pour s'offrir des moments de repos bien mérités et tant recherchés. Un peu plus haut que Féraoun, et comme si on pouvait le toucher juste en tendant la main, se trouve le mausolée de Taksebt. Ce dernier a été sérieusement ébranlé par le séisme du 21 mai 2003. Le site archéologique de Taksebt est aussi d'une valeur inestimable. Il renferme une sorte de galerie qui va jusqu'à la mer.
Tigzirt, c'est aussi incontestablement son prolongement jusqu'à la côte de la commune voisine d'Iflissen, plus à l'est. A un kilomètre de la plage Féraoun, le visiteur, une fois arrivé au cap Tadlest, a droit à une vue imprenable sur toute la baie de Tigzirt. Plus à l'est, c'est la plage et la crique de Sidi Khaled qui vous accueillent à leur tour. Le lieu est sacré. Le mausolée de Sidi Khaled est un lieu de pèlerinage visité essentiellement par des vieilles qui viennent implorer la bénédiction du saint. Le mausolée à lui seul est une source de l'histoire de cette région. Qui est ce saint ? D'où est-il venu ?
Vers quelles années ? Toutes ces questions sont toujours entourées de mystère. Dans le mausolée où se trouve le tombeau du saint, une grosse chaîne est suspendue au plafond. Elle suscite à son tour tant de questionnement sur sa symbolique. Il semblerait, selon ce qui se rapporte à ce sujet dans cette région, qu'il a été fait prisonnier par un navigateur du nom d'Abou El Kacem El Marini.
Dans ce lieu, existe un rocher que l'on nomme Tablat (Rocher) Larbaâ Nath Irathen, réservé presque exclusivement aux personnes de la région de Fort National qui y viennent pour se recueillir. Dans la région de Tigzirt existent de nombreux édifices religieux qui attirent aussi des milliers de visiteurs. C'est le cas de la zaouïa de Sidi Boubekeur au village Cheurfa, situé un peu plus loin que la ville.
On y vient pour prier et faire des offrandes. Non loin de cette zaouïa existe un autre rocher troué au milieu que l'on a baptisé Taq avehri (littéralement : la fenêtre du vent). Les femmes y passent à travers ce petit trou et lancent des appels à haute voix à l'endroit d'un fils ou d'un mari en exil et qui n'est pas revenu pendant de longues années.
On raconte que généralement, quelques jours seulement après ce «rite» on voit l'«exilé» rentrer à la maison. Seulement, ces dernières années, cette pratique tend de plus en plus à disparaître. Toujours en poussant vers l'est, deux autres lieux paradisiaques reçoivent de nombreux visiteurs. Il s'agit de la plage Avechar et Tamda Ouguemoun. Ces deux lieux sont surtout connus pour la disponibilité de toutes sortes de poissons frais. Mais ces deux plages présentent un risque pour les estivants. Non seulement elles ne sont pas gardées, mais aussi elles sont connues pour leurs eaux profondes et leurs fonds rocailleux.
Quelques repères historiques
Au fil de l'histoire et des siècles, la ville de Tigzirt a connu un défilé de conquérants. C'est sans doute sa position géographique qui a fait d'elle, un lieu sans cesse prisé par les différents envahisseurs. Jusqu'à nos jours, de nombreux vestiges, témoins de ces invasions, subsistent encore. Ces vestiges attestent les différents âges et les différents conquérants qui l'ont traversée. Ce qui a donné lieu à un travail de recherche archéologique jamais achevé. Tant de mystères sont encore à découvrir.
Les premières fouilles ont été faites par l'administration française de 1886 à 1894. Suite à quoi, elle a été classée patrimoine national en 1900. Près d'une cinquantaine d'années plus tard, soit en 1949 d'autres fouilles ont été réalisées. Elles ont duré jusqu'à 1954. Le déclenchement de la Guerre de libération a mis fin aux recherches.
Ce n'est qu'en 1990 que d'autres fouilles ont été entreprises. Au bout de deux années, ces fouilles ont permis de révéler l'existence d'un site archéologique d'une superficie de près de trois hectares au nord de la ville, ce qui représente 20% de la superficie de l'antique Iomnium, alors que les 80% sont actuellement enfouis sous la ville de Tigzirt.
Il faut signaler que les fouilles ont permis de lever le voile sur l'histoire de la région qui remonte à la période préhistorique, dont subsistent des restes d'industries lithiques au niveau de différents endroits tout au long du littoral de Tigzirt, attestant la présence de l'homme dès la période préhistorique dans la région. Par ailleurs, il faut dire que malgré l'inexistence de textes historiques ou de vestiges archéologiques attestant l'établissement des phéniciens à Tigzirt, certains chercheurs supposent l'existence d'une ville phénicienne dans le même emplacement de la ville actuelle.
Cela est dû au fait que les phéniciens, navigateurs et commerçants, ne pouvaient parcourir la distance qui sépare Dellys et Azeffoun (deux villes connues durant cette période) en une seule journée de navigation sans toutefois fonder un comptoir sur le site de Tigzirt, qui se situe entre les deux.
Quant à l'époque romaine, le premier établissement des Romains dans l'antique Iomnium s'est fait par la construction d'un casernement construit suite à une révolte des autochtones, sous le règne d'Antonin le Pieu entre 145-147 A.J-C. La ville a connu une véritable prospérité et obtint le statut de municipe durant le règne de l'empereur Septime Sévère au IIIe siècle.
Des vestiges attestent cette prospérité jusqu'au jour d'aujourd'hui dans le site archéologique, comme le temple du Génie, l'enceinte, les termes… Ces vestiges subsistent toujours malgré sa dévastation par les Vandales durant le Ve siècle. La ville a été érigée une seconde fois par les Byzantins durant le VIe et le VIIe siècle, passage dont subsistent un fort et une basilique.

Au cœur de la cité antique
Le casernement : considéré comme le premier établissement romain, cet édifice est orienté vers l'ouest, il est de forme rectangulaire d'environ 16 m de large sur 30 m de long. Il est limité du côté ouest par le Cardo, des côtés nord et sud par deux decumanus, et du côté ouest il est enfoncé sous la route qui mène vers la mer. Cet édifice atteste du caractère militaire de la ville romaine. Dans ensemble, il est composé de plusieurs pièces inégales et contiguës, communicantes par des seuils de portes, qui donne un accès direct sur les deux decumanus, ainsi que sur le Cardo. Les murs de base de ce bâtiment sont fait de mœllons qui semblent être arasés aux fondations, laissant apparaître les premières assises.
Le temple du Génie : Il est construit par un notable de cette cité sur l'emplacement même de sa maison, et il a été dédié au dieu Génio, protecteur de la ville de Russuccuru ( actuelle Dellys). D'après le texte épigraphique qu'il porte, ce temple bien daté du début du IIIe siècle fut édifié sous le règne de Septième Sévère. La position de ce temple est excentrique dans la ville, où seul ce monument encore élevé au milieu de plusieurs constructions prouve qu'il était le noyau de cette cité antique. Il est composé de deux dalles, orienté vers l'est, il est précédé par deux colonnes qui donnent accès direct sur le Cardo. Il est construit par assemblage de pierres de taille en mœllons très bien ajustées à la base.
Le Cardo : Il est l'axe principal de la ville antique, il est orienté du sud sud-est au nord nord-ouest, et qui descend légèrement vers le nord. Cette rue est large de 6,60 m, elle présente un dallage régulier et très bien soigné, qui bute la place dallée du côté nord et qui réapparaît de l'autre côté. Sur le flanc, elle se trouve enfoncée sous l'enceinte byzantin.
La place dallée : Elle est de forme rectangulaire, et dotée d'un dallage régulier bien soigné. Elle porte de nombreuses traces de jeux gravés à la pointe et contient sur ses trois côtés une galerie de colonnades. Son quatrième côté est composé d'un mur en petit appareil bien soigné et conservé. Cette place est également équipée de deux entrées symétriques (du côté nord ainsi que du côté sud), accompagnées de seuils donnant sur les axes. Cet édifice présente une construction bien soignée qui peut être attribuée à l'époque des Sèvères. Il s'agit probablement d'avant-cour du temple de Saturne, datant des origines de cette ville.
La forteresse byzantine : c'est un bâtiment de 21,4 m de long sur 17,20 m de large. Il est composé de quatre murs épais de très bonne qualité, au milieu du bâtiment, un mur construit de la même manière le traverse dans sa longueur, qui s'interrompe à l'ouest. L'axe de chacune des travées est occupé par une file de piliers de pierres de taille. L'ensemble est rasé d'environ 1,50 m au-dessus du sol du quartier environnant à l'époque romaine. Ce qui reste aujourd'hui de cette forteresse est une sorte de podium sur lequel devait s'élever le bâtiment proprement dit.
La petite église : elle se situe au nord-ouest du temple du Génie, et se trouve immédiatement à l'ouest de la place dallée. Cet endroit fut fouillé en 1953, où il a été mis à jour une église mesurant 11,50 m de long sur 8 m de large. Elle est orientée vers l'ouest, entièrement dallée et dotée d'un petit baptistère.
Ce monument est composé d'une nef centrale et d'une autre nef gauche, qui semble ne pas faire partie du plan initial, dans l'hypothèse d'une petite église utilisée seulement par le quartier des masures qui l'entoure où sa construction a été empêchée par le grand édifice qui bordait cette église de ce côté.
La grande basilique : La grande basilique chrétienne de Tigzirt, se situe au nord-ouest du site antique de cette ville. Ce monument important daté de la fin du Ve siècle, a été restauré par le service des monuments historiques de 1903 à 1905. Il est l'une des œuvres grandioses de l'architecture religieuse de la fin de l'antiquité. Elle est de forme rectangulaire, mesurant 38 m de longueur sur 21 m de largeur. Par ailleurs, elle est considérée comme un modèle rare et l'une des plus belles basiliques de l'Afrique byzantine, selon ses décorations et ses dimensions.
Cet édifice est orienté vers l'est et composé dans son ensemble par trois nefs (une centrale, bordée par deux autres latérales). Il comporte onze travées séparées par deux files de supports doubles, et qui se posent sur un stylobate.
Les magasins (Horrea) : ce bâtiment fut mis à jour et dégagé au cours des fouilles menées en 1950 et 1951 par E. Frezouls et A. Hus, et celles effectuées entre 1990 et 1994.
De nos jours, il se trouve complètement remblayé et même traversé par le chemin qui mène vers la plage, où seules quelques pierres apparaissent aux endroits différents. Son emplacement se trouve au nord-ouest du temple dominant ainsi la mer. Il est réparti en un grand nombre de pièces qui laisse supposer une fonction économique et commerciale, en raison du dépôt de dalles (à huile probablement) qu'il a livré. Cet édifice paraît appartenir à la ville du IIIe siècle, où les activités commerciales et maritimes furent largement pratiquées, mais il semble avoir été réemployé et réutilisé ultérieurement.


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