La médecine n'a pas tout révélé à ses chercheurs, ce qui laisse une large manœuvre aux guérisseurs se croyant munis d'un don, celui de guérir les hommes et les animaux de maladies pour lesquelles les médicaments prescrits par des spécialistes s'avèrent inefficaces. Q un psychologue vous oriente vers un raqi ou qu'un traumatologue vous conseille un guérisseur, c'est de l'aberration. A travers la wilaya de Aïn Defla, quatre guérisseurs sont si réputés qu'ils reçoivent une clientèle des tous les coins d'Algérie. M'hamed, un descendant de l'illustre théologien et imam Si Belhadj, dans la commune de Arrib, est spécialiste dans le traitement du nerf sciatique. Il n'exerce que les lundis et jeudis, de préférence le matin. Pour seul outillage, il ne dispose que d'un canif bien rangé dans une pochette en cuir. El hadj M'hamed accueille ses malades dans un champ ou pousse une herbe sauvage épineuse, une sorte de chardon. Son traitement est très simple, il demande au patient d'enlever sa chaussure gauche et d'écraser du talon ladite plante. Le guérisseur prendra alors son couteau et coupera cette herbe sous son pied. Miracle ! Le patient titube mais n'a pas mal. Une demi-heure plus tard, le malade marche convenablement. «Ce n'est pas de la sorcellerie», explique Si M'hamed qu'en coupant cette plante il avait récité deux versets du Coran. «Nous avons hérité ce don de père en fils», précise-t-il. Ce guérisseur n'a pas de tarif à appliquer, il met dans la poche de son seroual (pantalon traditionnel) la somme que lui remet le patient et sans la compter. «Je ne compte jamais ce que j'ai dans ma poche et ce que me donnent mes malades», atteste-t-il en ajoutant que le patient doit se faire traiter pendant trois séances. Il reconnaîtra qu'il n'assure pas la guérison complète mais il diminue des souffrances de son patient. El Hadja, une réputation assise dans 4 wilayas A 14 km à l'est de Arrib, El hadja Fatma, âgée de 75 ans, réside à Ben Allel où elle soigne les entorses, foulures, luxations, courbatures et malformations congénitales. Roumaissa est née avec bras paralysé. Son père affirme que sa fille ne pouvait pas plier le bras et n'arrivait pas tenir un objet dans la main. Les médecins qui l'ont auscultée ont émis des avis différents (tendons noués, nerfs défaillants, mauvaise circulation du sang, etc.). El hadja Fatma a indiqué un écrasement des muscles et traite la petite en lui massant le bras avec de l'huile d'olive une fois par semaine. «Après un traitement de trois mois, Roumaissa articule convenablement et peut tenir une cuillère, un verre, le biberon», souligne le père. Imène, âgée de 5 ans, une autre malade présentant une malformation congénitale à la hanche, est en pension chez El hadja Fatma, puisque ses parents résidant dans la wilaya de Djelfa ne peuvent se permettre des déplacements chaque semaine. «Elle claudiquait», dit la guérisseuse en signalant qu'aujourd'hui cette petite fille court comme un diable sans que l'on s'aperçoive de son défaut. «La tête du fémur n'était pas à sa place», déclare la vieille dame avec modestie, en avouant recevoir des malades d'Alger, de Blida, de Djelfa et des environs. El hadja n'a pas de tarif fixe, elle se contente de ce que lui offre le client. A Mekhatria, laâdjouz Khedidja pratique la rééducation fonctionnelle. Chaque jour, à n'importe quelle heure, elle a une clientèle composée de femmes, d'hommes et d'enfants. Sa réputation quant à elle ne dépasse pas les limites du centre de la wilaya. Enfin il y a le fameux orthopédiste El hadj Bouzaika Mokhtar, du douar El Khoual, dans la commune de Aïn Bouyahia, au nord-ouest du chef-lieu de la wilaya de Aïn Defla, qui défie les spécialistes en jetant à la poubelle les plâtres qu'ils mettent à leurs patients. Ce vieil homme illettré de 73 ans pratique l'orthopédie depuis une soixante d'années avec comme seuls instruments des morceaux de roseaux, de la ficelle, un couteau, une scie à métaux pour enlever le plâtre, des morceaux de joncs et des bandes pour pansements. Ce modeste guérisseur reçoit ses clients sous l'ombre d'un figuier jouxtant son humble demeure. Un tas de plâtre près du domicile prouve que le guérisseur a soigné des milliers de fracturés. Les médecins adhèrent Hadj Mokhtar pense qu'il est doté d'un don qu'il ne peut expliquer. «Tout jeune j'avais appris à mettre ces sortes d'attelles aux chevreaux et aux agneaux qui se brisaient les pattes dans la montagne», avoue-t-il en ajoutant qu'il avait soigné de la même manière son petit cousin tombé d'un pin d'Alep, alors qu'il essayait de voler les œufs du nid d'une tourterelle. «Nous avions peur de nos parents, et en mettant les attelles, mon cousin boitait légèrement», confesse-t-il. Voyant que son cousin guérissait vite, il avoua la vérité à ses parents et devint ainsi djebbar (assembleur d'os). Notre guérisseur estime que la médecine est loin d'être parfaite et reproche aux orthopédistes leur négligence dans certains cas. «Je demande au patient de me présenter un cliché de radiographie pour que je puisse déceler l'emplacement exact de la fracture, c'est au vu de ce cliché que j'emboîte les deux bouts de l'os fracturé», révèle ce djebbar en affirmant que les spécialistes font d'énormes erreurs lors des soins de la clavicule. «Ils mettent la bande de 8 à l'avant en superposant les bouts de l'os fracturé ce qui fait que l'os ne se ressoude pas vite», explique hadj Mokhtar. Notre arrivée coïncidera avec celle d'une famille venue de Tlemcen pour corriger une erreur orthopédique sur un jeune accidenté de la circulation qui n'arrive plus à marcher, bien que sa fracture soit complètement guérie. Hadj Mokhtar observera longuement le cliché avant de proposer à l'accompagnateur du concerné s'il accepterait que son fils soit de nouveau fracturé. «Revenez demain matin», ordonne le vieux en indiquant qu'il reçoit des malades d'Alger, de Blida, de Tizi Ouzou et même du Sud. Lui aussi n'a pas de tarif, il accepte ce qu'on lui offre. Les médecins interrogés sur ces phénomènes reconnaissent les pouvoirs de ces guérisseurs et ne peuvent pas les expliquer. «Je conseille parfois à mes patients de s'adresser à ces gens-là», avoue un généraliste en signalant que la médecine traditionnelle est parfois plus efficace que celle qu'il pratique. Il est à noter que ces guérisseurs ne sont ni des sorciers, ni des magiciens, ni des charlatans, mais de simples êtres humains qui vivent humblement leur vie.