Habib Boukhlifa, metteur en scène, homme de théâtre et enseignant à l'ISMAS de Bordj El Kiffan et professeur de sociologie, nous parle dans cet entretien de la situation du théâtre en Algérie, des possibilités de sa relance et de ses projets. Le Temps d'Algérie : On constate qu'il y a beaucoup d'activités théâtrales ces dernières années. Et-ce la relance du théâtre à votre avis ? Habib Boukhlifa : Certes c'est une relance, mais occasionnelle, dans la mesure où la rente le permet, c'est une bonne chose, mais elle aurait pu être beaucoup mieux si la politique culturelle publique l'avait associé à des compétences artistiques et intellectuelles. C'est encore des dépenses dans le désert. Quand les dévots médiocres s'impliquent dans la tâche et forment un puissant lobby d'intérêts personnels, il n'est plus possible à la culture profonde et esthétique d'exister et faire exister la grandeur du peuple algérien Plusieurs observateurs constatent que le théâtre algérien manque de créativité, c'est dû à quoi à votre avis ? La créativité est synonyme de liberté et de réflexion, de connaissance et de formation. En un mot, le professionnalisme, qui nous permet de goûter aux spectacles. Les entreprises publiques théâtrales font de l'animation. La raison majeure des résultats médiocres, c'est la mauvaise gestion caractérisée de l'espace public culturel et la marginalisation de l'intelligence artistique. La ministre de la Culture est complètement bernée par ceux en qui elle avait confiance ou alors elle n'a pas compris grand-chose à la culture, il faut reconnaître qu'elle fait beaucoup d'efforts en ce sens et c'est dommage ! Vous formez des hommes de théâtre, quel serait leur avenir ? Il est généralement difficile de prévoir l'avenir d'un artiste, encore plus difficile dans des sociétés de bricolage. Mais il reste néanmoins le choix d'exprimer artistiquement sa culture, son histoire, sa réalité et la beauté d'un pays plus que millénaire. La plupart des metteurs en scène optent pour l'adaptation (souvent la traduction) d'œuvres, notamment de Tchekhov et de Garcia Lorca. Y a-t-il une crise de textes en Algérie ? L'adaptation chez nous est beaucoup plus du plagiat. C'est une preuve que nous avons beaucoup de difficultés à créer des textes dramatiques, une condition nécessaire de dépasser le traitement bachtarzien ou l'écriture de l'urgence. L'Algérie est pleine de talents, que ce soit dans l'écriture, dans la mise en scène ou dans l'interprétation scénique. Arriver à faire la différence entre la littérature romanesque et la littérature dramatique. Ne pensez-vous pas qu'il y ait peu d'adaptation d'œuvres d'auteurs algériens ? Effectivement, mais je pense que cela demande encore une fois une grande culture théâtrale. Une œuvre littéraire algérienne est facilement détectable, les bricoleurs ont la frousse de s'y approcher. Que faut-il à votre avis pour relancer le théâtre? Il faut d'abord s'occuper de la formation et parallèlement assainir les lieux de la représentation théâtrale des «Raspoutine», pour cela il faudrait que la politique culturelle publique cesse d'être «vitrinesque», qu'elle opte pour la compétence et le niveau esthétique digne de l'Algérie. L'art théâtral n'a pas deux poids, deux mesures. Ou tu y crois, ou tu n'y crois pas Quels sont vos projets ? J'ai des pièces de théâtre que je veux mettre en scène, mais le TNA me ferme la porte pour des raisons que j'ignore. J'ai un livre qui va bientôt paraître. Il s'agit de ma thèse de doctorat sur la pratique sociale dans le théâtre algérien. Bientôt je participerai dans un film de Derraïs Je souhaiterais à ce que le statut de l'artiste voie le jour bientôt et que nous ayons toujours la chance de servir notre culture et notre pays.