L'Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audiovisuel (Ismas) est un nouvel établissement de formation supérieure créé en avril 2004 et issu de la transformation de l'ex-Institut national des arts dramatiques de Bordj El Kiffan. Il a pour vocation de permettre l'ouverture de nouvelles filières au cinéma et à l'audiovisuel qui viendraient s'ajouter à celles déjà existantes en arts du spectacle. Le nouveau directeur chargé de cette mission, M.Ahmed Tachekort, a été installé en avril 2005. Comédien, animateur culturel, directeur de la photographie et doctorant en philosophie de l'art, il répond aux questions de L'Expression. L'Expression: Inadc, Inad et maintenant Ismas. Présentez-nous cet établissement qui a donné les grands noms du théâtre algérien. M.Ahmed Tachekort: Oui, Ziani Chérif Ayad, Dalila Helillou, Sonia, Boualem Benani, Mohamed Adar, et j'en passe, sont venus renforcer le talent de leurs aînés qui n'ont pas eu la chance de faire des études académiques mais qui ont forgé leur talent dans la glorieuse troupe théâtrale du FLN. Et de cette symbiose est né le théâtre algérien, notamment par l'action de la décentralisation et l'ouverture des théâtres régionaux aux diplômés de l'école de Bordj El Kiffan. Le ballet national est composé dans sa quasi-totalité d'éléments qui ont été formés par les grands maîtres de ballet dans notre institut. Le plan de développement en matière culturelle au début des années 70 par les projets des Maisons de la culture nécessitait la formation de cadres. L'institut a été sollicité en 1975 pour assurer la formation des animateurs culturels. De 1975 à 1989, plus de 600 animateurs culturels ont été formés à cet effet et ont été les pionniers. Par la même occasion, forts de cette expérience d'adaptation, nous avons défini et élargi, une fois pour toutes, les missions qui pourraient, à l'avenir, être confiées à cet établissement sans pour autant recourir, une fois de plus, au changement d'appellation, et c'est pour cela, qu'après mûre réflexion, nous l'avons appelé Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audiovisuel. A cet effet, vous constatez de vous-même l'étendue de cette école. Elle peut accueillir 250 étudiants en internat et autant en externat ou demi-pension, pour former cinéastes et comédiens. Justement, depuis la rentrée 2006-2007, vous avez lancé de nouvelles formations en audiovisuel pour répondre au besoin de l'heure. Est-ce que l'Ismas est prêt pour cela? Oui, bien sûr, les infrastructures existent, l'encadrement pédagogique aussi, et les programmes ont été adaptés aux besoins de la formation. Et puis, vous savez, en matière de formation artistique, il faut s'adapter tous les jours. La formation d'un artiste, quelle que soit sa spécialité (théâtre, cinéma, danse, musique, arts plastiques, etc.), demande une remise en cause comme on vient de le dire, quotidiennement, pour pouvoir satisfaire le goût du public, en perpétuelle exigence. Nous concernant, en tant qu'Algériens, nous avons surtout, à l'heure actuelle, besoin de développer un art authentique sous toutes ses formes pour combler un vide. Ce besoin a été très bien compris par les cinéastes de la génération postindépendance. Pouvez-vous être plus explicite? Vous savez, ce n'est pas facile à expliquer, mais disons que l'Ismas actuel, depuis sa création, a tenté, avec la volonté de ses quelques enseignants éclairés en la matière, de lutter pour l'adaptation des contenus des programmes. Le but étant de sortir des méthodes calquées sur le monde occidental, car, en matière de formation artistique, il faut impérativement s'inspirer d'une vision du monde. C'est ce que l'on veut inculquer à l'artiste que l'on est appelé à former à l'Ismas. Vous insinuez que tout ce qui est fait jusqu'à maintenant en matière de formation artistique est à revoir en Algérie. Pas à revoir, mais à parfaire progressivement, et c'est un avis personnel. Notre pays, riche de son passé civilisationnel, a connu de multiples écoles artistiques. Cet éclectisme enrichissant constitue un matériau à ne pas négliger car source de toute inspiration et de toute formation sérieuse. Revenons au cinéma algérien. Existe-t-il toujours? Je dirais qu'il survit. Car pour réaliser un film de nos jours, c'est un véritable parcours du combattant et une véritable aventure. Et c'est pour cela que l'Ismas, conscient de cet état de fait, refuse de se développer en vase clos, mais en s'ouvrant au monde de la production, comme c'est le cas actuellement avec des partenaires qui nous font confiance comme le TNA, les coopératives etc., tant en cinéma qu'en audiovisuel, milieux où l'on voudrait une collaboration intensive. Quelles mesures faudra-t-il prendre? Comme je l'ai expliqué un peu plus haut, le cinéma est une industrie, et chaque pays organise cette industrie selon la place qu'elle occupe sur le marché international. Permettre à cette industrie de se développer en Algérie, est une entreprise longue et complexe qui nécessite une technologie complexe. Il ne suffit pas de former, car cela revient très cher, mais il faudrait mettre en place tout un plan de développement qui consiste, en plus de la formation, à réhabiliter les salles de cinéma, fidéliser un public, produire des films selon son goût, entrer en compétition internationale avec des films qui reflètent notre système de valeurs. Et pour cela, l'Ismas est prêt à collaborer et à être consulté pour l'organisation de festivals ayant pour finalité de jauger les performances de notre cinéma par rapport à ce qui se fait ailleurs. Quelle formation artistique doit-on développer à l'Ismas? La formation que nous voulons donner à nos étudiants, outre la maîtrise des nouvelles techniques, est celle de développer chez eux, comme cela se fait dans toute école artistique similaire, l'esprit créateur, innovant et tendant vers la recherche de l'originalité. C'est par l'originalité que l'on atteint l'universel. Pour cela, il faut casser les tabous, provoquer le goût, innover en expérimentant de nouvelles méthodes, tenter des expériences originales en ayant en ligne de mire un spectateur exigeant à ne jamais décevoir. Vous constatez que l'entreprise n'est pas facile et que cela relève de toute une politique de formation pour que l'on puisse avoir en Algérie, notre classicisme, notre romantisme et néoréalisme, et ici, je pense au film La Bataille d'Alger qui, esthétiquement parlant, a été classé comme étant l'un des films les plus représentatifs du néoréalisme italien. Après tout ce que vous venez de dire, est-ce que vous pensez que ce vaste chantier relève du domaine du possible? Nous avons au secteur de la culture une multitude d'écoles de formation artistique dont trois ont pu accéder au statut d'Institut national de formation supérieure (Infs), il s'agit de Esba (beaux-arts), l'Insm (musique) et Ismas (art du spectacle et audiovisuel). Dans un vaste pays comme l'Algérie, il devrait y avoir une école par spécialité et dans chaque wilaya, et c'est encore peu, si l'on aspire, comme je l'avais relevé plus haut, à avoir nos propres formes d'expression. Les Lakhdar Hamina, Ahmed Rachedi, René Vautier, n'ont-ils pas exploré ces voies? Ces cinéastes qui ont compris que l'art pouvait aider la Révolution algérienne ont «joué la comédie» comme acte révolutionnaire pour «emprunter» la caméra, instrument créé justement par l'occupant pour pouvoir, dans un premier temps la maîtriser, et en second lieu, la «torturer» pour pouvoir lui faire parler le langage que maîtrisaient les Algériens du maquis et dont nous venons de parler, et que j'appellerais le réalisme nationaliste. Cela consiste en quoi? Ils ont inventé un langage qui leur permet de s'exprimer à leur manière. Les étudiants de l'Ismas apprendront cela et beaucoup plus encore dans les cours d'histoire, d'esthétique et de sémiologie du cinéma. Ils sauront comment leurs aînés ont fait des films avec passion laissant derrière eux des chefs-d'oeuvre authentiques qui ont fait leur entrée dans l'histoire du cinéma mondial. C'est bien beau tout cela, mais l'Ismas est-il en mesure de réaliser tout cela? Avec un peu de volonté et à condition que tout le monde s'y mette, une grande école est possible, ouverte à tous les Algériens qui aspirent à faire un cinéma pour leurs compatriotes. La tâche est difficile, certes, en ces temps qui courent, mais pas impossible. Faire un cinéma pour ses compatriotes, cela veut dire être capable de réaliser une oeuvre pour un citoyen qui, après une semaine de labeur, après la prière du vendredi, pourra s'engouffrer dans une salle de cinéma sans honte et sans complexe pour voir un film qui peut constituer le prolongement par d'autres moyens que ceux de la mosquée, mais en symbiose et vice versa. En fait, un discours prolongeant l'autre permettant à ce potentiel spectateur, deux formes d'expression, être en harmonie avec lui-même. C'est, par exemple, le but que s'assignait le classicisme pour former un citoyen apte à vivre dans une société bourgeoise. Pour conclure, il faudrait le crier haut et fort, cette tâche n'incombe pas uniquement à l'Ismas, mais également à toutes les autres institutions qui doivent s'impliquer pour une formation artistique de qualité. Et pour cela, une fois de plus, l'artiste qui sera formé à l'Ismas sera, avant tout, imprégné des idéaux de Novembre, de la philosophie de l'art inspiré de l'évolution de la société algérienne tout en tenant compte des contraintes de la société industrielle où l'artiste, pour vivre, doit écouler son produit. La porte de l'Ismas est ouverte à tous les cinéastes et hommes de théâtre algériens, sans exclusive, pour apporter un plus à la formation, car la spécificité de cette formation artistique est de transmettre des connaissances et communiquer des expériences. Cela se fera sous forme de masterclass, conférences-projections-débats, rencontres avec les cinéastes, participation à des actions de productions etc. Un dernier mot... Une étoile est née, aidons-la à briller pour toujours.