Un voleur attend qu'un couple sans enfant quitte le domicile pour s'introduire dans l'appartement et la chambre à coucher où il pensait trouver «l'eldorado». Manque de pot, monsieur et madame ont dû oublier quelque chose. Ils reviennent sans avertir. Salim S. panique. Il saute du deuxième étage ! Que de dégâts, il a perdu son temps. Il va perdre ses deux chevilles et sa liberté face à cette redoutable Selma Bedri, la juge d'El Harrach, qui sait taper au bon moment. Le détenu sort du box pour se mettre face à la présidente dans une position qui devrait l'émouvoir, car outre les deux chevilles plâtrés, il a un avant-bras drôlement enroulé dans une gaze déjà noircie par la pollution qui est en détention perpétuelle aux «Quatre ha». - «Alors, on a voulu éviter les propriétaires en sautant du 2e étage ?», dit sans sourire Selma Bedri, la juge d'El Harrach (cour d'Alger), qui avait un drôle de dossier de tentative de vol par effraction, une tentative qui avait été tuée dans l'œuf par un concours de circonstances inouï qui a vu le couple rentrer dans son appartement «visité» au bon moment pour l'intégrité du domicile et au très mauvais moment pour le voleur. Ce dernier va d'ailleurs sortir de sa gibecière une tout autre version des faits. Et bien sûr, ce sera une occasion pour le taciturne Youssef Menasra, le procureur du samedi, de montrer sa très belle audition lorsque l'inculpé détenu s'était mis à débiter son autre version. - «Inculpé, écoutez ! Nous avons tous les PV d'audition où vous reconnaissez le délit. Qu'est-ce donc cette macabre histoire de tentative de... meurtre ?», chantonne presque cette présidente jamais prête à se mettre en travers de la bonne marche d'un dossier. - «Ouallah, madame la présidente, on a tenté de m'assassiner en me défenestrant...», raconte Salim S., le détenu. - «Qui “on”? Et que faisiez-vous à cette heure tardive de la nuit chez des gens que vous ne connaissez pas ? Et cessez de répondre à côté, car le tribunal n'a pas que votre affaire à traiter. C'est compris ?», s'écrie sans s'énerver Bedri, qui va tout de même laisser se dégager une espèce de grimace qu'on peut aisément lire comme un avertissement. Le pauvre détenu redresse le port, lève la tête, les yeux et les sourcils pour la première fois et dit, résigné : «Madame la présidente. Je plaide coupable. J'ai voulu gagner des objets en les volant. J'ai perdu mes chevilles et ma liberté. Je regrette amèrement.» Presque soulagée, la jeune juge va même presque se lever trois secondes comme pour se mettre au garde-à-vous, avant d'ajouter, comme une jeune mariée qui va partir en voyage de noces : «C'est bien ça. Le tribunal vous félicite de lui avoir fait gagner du temps et évité d'emprunter d'autres voies pour arriver à la vérité. Donc, vous reconnaissez vous être introduit chez des gens en vue de les voler, mais vous aviez vite déchanté en entendant les locataires revenir chez eux au moment où vous vous y attendiez le moins», balance en vitesse la magistrate qui prend acte des demandes de Menasra (trois ans de prison ferme) avant même que Salim S. ne puisse répondre : «Oui madame la présidente. Je reconnais tout en bloc. Je vous demande d'être indulgente. C'est tout.» Comme les victimes n'avaient rien réclamé en guise de dommage et intérêts, le pauvre voleur, pris en flagrant délit et qui avait vu les os des chevilles «péter» au sol, attendait la bonne nouvelle. Il y en avait une seule. Il a écopé d'une peine de prison d'un an ferme au lieu des trois réclamées par Menasra qui allait interjeter appel.