Beaucoup de confrères l'ont connu à un moment ou un autre de leur parcours professionnel. Nombreux sont aussi ceux qui l'ont croisé dans leur rédaction, sans vraiment savoir grand-chose de cet homme, si discret et peu disert, quand bien même eut-il assumé un rôle de premier plan dans la fabrication de leur journal... Mais à l'exception de ses amis et des étudiants qu'il a encadrés, depuis l'ex-Ecole nationale supérieure de journaliste à l'actuel Institut de journalisme, très peu savaient que l'homme était détenteur d'un doctorat de troisième cycle en histoire, acquis dans une université parisienne dans les années 1970. Sa thèse a porté sur la presse communiste en Algérie, une précieuse contribution à l'écriture de l'histoire de la presse algérienne que peu de journalistes ont eu à consulter. Pourtant, Mohamed Laïdi, qui préférait à son titre universitaire le grade ingrat de secrétaire de rédaction, n'en a jamais fait étalage. Sa science, il l'a réservée à la formation pratique et théorique des étudiants dans les différents métiers de la presse ; ses connaissances, à l'initiation de jeunes journalistes stagiaires au secrétariat de rédaction, un métier difficile qui fait appel non seulement à de grandes capacités rédactionnelles mais aussi et surtout à de sérieuses compétences dans le traitement «technique» de l'information. Jeunes étudiants à l'Ecole nationale supérieure de journaliste (ENSJ), il nous a fait visiter l'imprimerie Reda Houhou de l'ex-entreprise de presse du parti. Nous avons compris alors, devant la quantité de machines déployées dans ce réduit, la complexité du métier d'imprimer, et le sens des cours de secrétariat de rédaction qu'il nous enseignait. Nous avons saisi, dès lors, pourquoi il fallait compter les signes, calculer les espaces, tracer des lignes, réécrire des titres et des surtitres, insérez des intertitres, couper un paragraphe ou le «blanchir» et enfin «calibrer» une photo, une opération d'une extrême simplicité mais que peu de collègues ont su faire jusqu'à l'introduction de l'ordinateur et des logiciels de traitement de l'image. Mohamed Laïdi nous a fait comprendre, et c'est ce que notre génération retient le plus de lui, que c'est de la qualité du secrétaire de rédaction que dépend en grande partie le succès ou l'échec d'un périodique, que c'est grâce au secrétaire de rédaction qu'un article est mis en valeur ou «écrasé», et cet aspect du journalisme semble aujourd'hui méconnu de la plupart des jeunes confrères, plutôt obnubilés par la rédaction et l'apposition de leur signature à la fin de leurs papiers qu'intéressés par la mise en forme, la maquette et la présentation artistique du journal. Mohamed Laïdi comptait parmi les rares journalistes à s'être complètement investi dans le secrétariat de rédaction ; il est de la lignée des regrettés Bachir Rezzoug et Omar Zegnoune, deux autres talentueux journalistes qui ont porté, du mieux qu'ils le pouvaient, un métier méconnu, volontairement ou pas, par de nombreuses publications. Secrétaire général de rédaction, titre équivalent au directeur de publication, Mohamed Laïdi réalisait les unes de notre quotidien. Il ne manquait pas d'en référer aux collègues qu'il savait compétents lorsqu'il s'agissait d'opérer le difficile choix du titre principal parmi la floraison de titres proposés. Il n'était pas du genre à imposer son point de vue, mais il défendait ses idées, arguments à l'appui : seuls comptaient pour lui la qualité de l'écrit, la «lisibilité» des titres et surtitres, la compréhension des mots et des expressions… Il lui arrivait parfois d'avouer des ratages, des unes pas belles, mais, mercredi, tous ses collègues du service technique, à l'unanimité, avaient trouvé géniale la une qu'il avait réalisée. C'est l'une des meilleures qu'a eu à publier Le Temps d'Algérie, lui avait-on dit. Il a accusé le compliment et est reparti chez lui comme à son habitude : éreinté par sa charge de travail, son cœur fatigué tenant par miracle. Il s'est éteint chez lui, tard dans la nuit, terrassé par une crise cardiaque. Le hasard a voulu qu'il rende son dernier soupir dans les bras d'un de ses vieux amis et collègues, Ali Habib, qu'il a pris l'habitude de recevoir chez lui, chaque fois que ce dernier rentrait de France. Mohamed a été enterré jeudi au cimetière de Oued Romane, là où repose déjà un de ses fils, que la providence lui avait ravi à la fleur de l'âge. Il y avait foule aux obsèques. Les «anciens» sont venus nombreux rendre hommage au confrère. Dans l'affluence, il y avait Mahieddine Allouache, Zoubir Souici, le professeur Brahim Brahimi… Il y avait aussi Cheurfi, Aggoun, Mehdaoui, Berbiche qui comptent parmi ses premiers élèves à l'ENSJ. Nourredine Naït Mazi, le doyen, avait fait le déplacement. Nous avons aperçu ses anciens collègues d'El Moudjahid comme Yacef, Hamadi, Aïssiouane ainsi que d'autres journalistes qu'il a côtoyés dans d'autres rédactions. Ses collègues enseignants de la faculté des sciences politiques et du journalisme étaient de la partie, Kessaïssia, Boukrouh et Choutri entre autres. Il y avait aussi plusieurs des nôtres, journalistes, techniciens et simples chauffeurs au côté du directeur. Certains n'ont su la triste nouvelle qu'après les obsèques. Ils ont tenu quand même à se recueillir sur la tombe fraîche de Mohamed.