Roger-Louis Cazalet est expert honoraire à la cour d'appel d'Aix-en-Provence et président du comité de lutte contre le blanchiment d'argent de France. L'Algérie a connu le terrorisme, qui est en train d'évoluer vers le banditisme. N'est-ce pas là un contexte favorable pour que le phénomène de blanchiment d'argent prenne de l'ampleur ? Le terrorisme, il y en a partout dans le monde. Pour le cas de l'Algérie, je défends l'idée qu'il n'y a pas de terrorisme, qu'il y en a ailleurs. Je veux dire que l'Algérie est placée sur la liste des pays qui font ou qui sont susceptibles de faire du blanchiment à la 88e place. D'autres pays sont classés devant. La Tunisie est à la 34e position. Pour ce qui est de l'Algérie, ce n'est peut-être pas décelé, car il y a de ça aussi. Disons que ça commence. Pour le moment, le soupçon en Algérie n'est pas très courant. Si ce n'est pas décelé, on le verra bien au fil du temps, dans la mesure où vous avez signé une convention avec la communauté européenne, il y aura des inspecteurs qui vont venir, et l'Algérie sera tenue comme les autres. Je crois savoir qu'une organisation sera mise en place pour la lutte contre le blanchiment. Ce qui est important, c'est que vous vous êtes dans une phase un petit peu en retard, car il y avait d'autres problèmes à régler. Et maintenant il faut penser à la question du blanchiment d'argent. Justement, le gouvernement algérien prépare une loi contre le blanchiment d'argent qui prévoit notamment la limitation de la circulation du cash. Pensez-vous que ce genre de mesure est de nature à empêcher de manière efficace le blanchiment d'argent ? Ça va dans le sens. Tout ce qui va faire que le flux financier devient opaque, et je tiens à souligner que contrairement à ce qu'on pense, le billet, c'est opaque. Je veux dire que quand un transfert d'argent sort d'une opération comptable qu'on peut mettre en comptabilité, ça devient transparent. Mais du moment que quelqu'un vient et paye de sa poche, on ne sait pas cet argent d'où il vient. Vous voyez qu'incontestablement, l'opération liquide doit être empêchée, du moins dans le montant. Il ne faut pas que ça dépasse une certaine somme. Il faut généraliser l'utilisation des cartes de crédit, les chèques et tout un système pour payer d'une manière visuelle. Pourquoi laisser alors circuler tout ce cash, du moment qu'il est porteur en lui-même d'une possibilité de faire du blanchiment, même si ce n'est pas tout le cash qui est noir. N'est-il pas aussi nécessaire de réformer le système bancaire ? De toute façon, et je crois que je l'ai suffisamment dit, ce sont les banques et les établissements financiers qui sont quand même au premier rang. Car l'argent, il est quelque part, mais il faudrait bien qu'il sorte. On est là à se parler, au même moment, peut-être, il y a une opération terrible qui se monte quelque part. C'est pour ça qu'il faut être vigilant à tout moment. Un professionnel, il sait très bien comment être vigilant. Un commissaire aux comptes, dès qu'il voit une infraction ou un délit, il va aviser le procureur de la République. Mais quand on est expert-comptable, nos relations avec nos clients sont privées de profession libérale qui a un sermon. Et à partir de ce moment-là, on ne peut pas trahir le secret professionnel. Or là, incontestablement, dans le soupçon, et le mot est sans doute fort, on le trahit. Faut-il maintenir le secret professionnel dans le cas d'une organisation criminelle ? Ça c'est une vraie question qui ne concerne pas uniquement le blanchiment d'argent. Je ne donne pas de réponse, car je suis dans les conditions où on est en train de revoir le problème. Mais c'est vrai que les gens viennent chercher dans la profession libérale la discrétion. Maintenant, on définit de plus en plus finement, ce n'est pas encore très précis, mais ça va le devenir. Plusieurs institutions ont également mis en cause l'absence de transparence dans la comptabilité de l'entreprise... Vous avez maintenant une profession comptable organisée. Il y a un progrès considérable en la matière en Algérie et au niveau de la présentation des comptes. Il y a aussi un marché financier. La transparence est obligatoire. Un chef d'entreprise ne peut pas prendre une décision, faire un business-plan ou une action financière si tous les critères ne sont pas transparents. Il ne faut pas non plus confondre fraude fiscale et blanchiment d'argent. La fraude fiscale, je ne dirais pas que c'est anodin, mais ce n'est pas la peine de mobiliser des moyens extraordinaires pour un commerçant qui, le soir, oublie de signaler quelques dinars. En revanche, quand une opération organisée est mise au point et qu'elle vise tout le territoire algérien, c'est ça qui va fausser le marché. Cet argent criminel va aller en concurrence avec d'autres. C'est de l'argent qui n'a rien coûté. Vous avez plaidé pour l'éradication des zones offshores, appelées également paradis fiscaux. A votre avis, comment il faut s'y prendre ? Beaucoup de choses ont été faites en vingt ans. Il faut une volonté politique. Pour les paradis fiscaux, ça va être plus difficile parce que, quelquefois, les Etats sont concernés. Je vous cite l'exemple du traité de Kyoto. Les Etats-Unis l'ont signé, mais ils ne l'appliquent pas. Donc, il s'agit d'une question de volonté politique, qui viendra un moment ou un autre, car on ne peut pas laisser une organisation mafieuse s'installer sur l'économie mondiale. En Russie, on a d'énormes problèmes effectivement, car il y a un système mafieux qui s'est mis en place. Même phénomène sur la Côte d'Azur, où on voit arriver des sommes colossales.