«Si vite, trop vite. Il n'a pas eu le temps de faire quoi que ce soit.» Sentence hâtive de Lech Walesa, ancien prix Nobel de la paix, qui résume les critiques après la surprenante distinction du président Barack Obama. A l'image des conservateurs américains ou de commentateurs européens, pisse-vinaigre mais se voulant réalistes, l'attitude de l'ancien président polonais signifie en creux que l'institut de Stockholm n'a pas apprécié un bilan. Mais plutôt l'espoir que le jeune chef de l'Etat américain incarne. Sa nouvelle position de nouveau leader moral du monde. Allant dans ce sens, félicitations, louanges et encouragements perçoivent en Obama un jeune Mandela portant les espoirs de la planète. Un nouveau guide qui, lui-même, voit dans sa distinction «non pas une reconnaissance de ses propres accomplissements, mais un appel à l'action», à venir. Pour, selon ses propres termes, «redéfinir la manière dont nous nous percevions les uns les autres, et favoriser le dialogue interculturel et interreligieux qui doit être fondé sur le respect réciproque». Un pari sur l'avenir Avec ce prix controversé, le jury de Stockholm a vraisemblablement voulu renforcer l'autorité morale du président des Etats-Unis au moment même où elle semble faiblir en interne et en externe. La récompense le conforte dans son propre pays où il fait face à une dure contre-offensive des Républicains dont la machine propagandiste tourne à plein régime sur la réforme de la Santé. Elle le consolide également sur la scène internationale. L'encourage notamment à poursuivre son action au Proche-Orient où il est en échec. Aussi, face à l'Iran où sa politique de dialogue sans concessions est en difficulté. Ce qui est de nature à l'inciter à différer à l'égard de Téhéran une éventuelle radicalisation. C'est évident, un président des Etats-Unis, même acquis à la realpolitik, ne se résoudrait pas si facilement à bombarder l'Iran, fusse-t-il un jour par le biais d'une tierce puissance militaire. Le prix Nobel décerné à Barack Obama est ainsi davantage un pari politique sur l'avenir qu'un jugement moral ou la sanction d'un bilan qui n'existe pas. De la même manière, Desmond Tutu avait reçu en 1984 le prix Nobel de la paix avant même que l'apartheid ne soit totalement éradiqué en Afrique du Sud. La distinction l'avait justement aidé à accomplir sa tâche de participation active au démantèlement du système ségrégationniste. En récompensant par ailleurs l'Israélien Menahem Bégin et l'Egyptien Anouar Sadate, le prix Nobel de la paix avait exprimé aussi un pari sur l'avenir, celui de la construction de la difficile paix israélo-arabe. Pas forcément les accords de Camp David pour lesquels le président américain Jimmy carter avait été distingué lui aussi. Dans l'esprit de ses promoteurs, le Nobel de la paix décerné à Barack Obama constitue donc le prix de l'espoir, un pari sur une vision multilatéraliste, dénucléarisée et écologique du monde. Il récompense le chef d'une hyperpuissance en voie de ne plus l'être. Et le distingue pour l'ensemble de l'œuvre qui lui reste à accomplir. Et si d'évidence le bilan du jeune chef d'Etat américain est encore à faire, il peut tout de même se prévaloir d'avoir en quelques mois seulement déconstruit l'architecture diplomatique des néoconservateurs bushistes. A ce propos, Zbigniew Brezinski, l'ancien conseiller diplomatique de Jimmy Carter, lui tresse quelques lauriers politiques. En moins d'un an, il a «redéfini les relations de l'Amérique avec le reste du monde», «nettement amélioré son image», fait «une série de promesses pour tenter de résoudre certains conflits de manière multilatérale» et «dégagé les Etats-Unis à poursuivre des buts élevés tels que la réduction des armements nucléaires», ce qui est, à ses yeux, «un accomplissement énorme». Révisions Certes, le Nobel ne transformera pas Barack Obama en démiurge de la diplomatie, lui-même éprouvant le principe de réalité en se présentant comme le commandant en chef d'une armée qui mène deux guerres en plein cœur du monde musulman. Mais déjà, ses discours fondateurs comme celui du Caire ou ses intentions valant acte comme celles de retirer ses troupes d'Irak et d'abandonner le bouclier antimissiles en Europe, dessinent un effort de vision et de rupture de la politique étrangère américaine. Notamment une redéfinition intellectuelle de la diplomatie des USA. En soi, une entreprise de remise en question suffisamment profonde pour être soulignée. Une remise en question de l'unilatéralisme prôné par les néoconservateurs autour de son prédécesseur à la Maison-Blanche. Une révision de la croyance en l'usage systématique de la force brute et une remise en question de la supériorité de l'Occident et de la démocratie occidentale sur le reste du monde. Le nouveau dans la position d'Obama, ce que le prix Nobel a d'ailleurs distingué, c'est une modération de ton, une qualité d'écoute modeste loin du paternalisme arrogant de son prédécesseur et, en guise de prolongement, une main tendue à ses adversaires cubain, vénézuélien, iranien, nord-coréen ou encore syrien. Le choix du jury de Stockholm est finalement judicieux car il fait sens. Il montre à son bénéficiaire le chemin à suivre, celui de la redéfinition multilatérale du monde. En même temps, il constitue, a posteriori, une gifle pour George W. Bush, aussi cinglante qu'une célèbre chaussure de la colère irakienne.