A l'automne 2008, au plus fort de la bourrasque financière, le ministre français de l'Economie et des Finances avait promis d'ériger Paris au rang de place forte de la finance islamique. Avec un ton solennel qui avait surpris plus d'un, Christine Lagarde s'était personnellement engagée à tout mettre en œuvre pour planter le décor de la «finance hallal». Forte d'un rapport sénatorial élaboré par l'ancien ministre (centriste) de l'économie, Jean Arthuis, la patronne de Bercy avait mis le cap sur un projet initié de fraîche date en France. Soucieuse de ne pas laisser à Londres le monopole de l'argent «islamique», elle avait initié un plan en deux temps : refonte du cadre réglementaire et agrément des premiers établissements. Un an plus tard, les objectifs revendiqués par Bercy – ministère en charge de la politique financière de France – restent au stade de l'ambition. Des institutions financières labélisées «islamiques» brillent toujours par leur absence à La Défense, à l'Opéra et aux Champs Elysées, les principaux quartiers bancaires de Paris. Voici quelques semaines, le chantier de la «finance islamique» paraissait bien engagé. A Bercy et à l'Assemblée nationale, le processus réglementaire cheminait à un rythme rapide. Signe d'une évolution conforme aux attentes des investisseurs du Golfe – en particulier des Emirats arabes unis et du Qatar – étaient sur le point de signer les baux de location d'agences. A l'ombre des débats de spécialistes, une bataille de procédure s'était engagée à l'Assemblée nationale. Déterminé à agréer les banques islamiques à l'horizon 2010, Christine Lagarde avait appelé le législateur à faire montre de souplesse. Autrement dit, modifier le cadre réglementaire afin de rendre possible l'émission de «sukuks», des opérations financières conformes à la «charia». Sitôt émis, le souhait de la patronne de Bercy a été pris en compte – sous forme d'amendement – pour les besoins d'une proposition de loi sur les petite et moyenne entreprises (PME). La disposition est passée au printemps comme une lettre à la poste. Mais les propos tenus par une députée UMP lors de la rentrée parlementaire ont bousculé l'agenda de Christine Lagarde. Une réglementation «charia-compatible» S'adressant à ses pairs, la parlementaire expliquait que ledit amendement était destiné à «introduire les principes de la charia dans le droit de la fiducie en la rendant compatible». Il n'en fallait pas plus pour provoquer du bruit dans les rangs socialistes. Hiérarque du PS, Henri Emmanuelli, a opposé à la députée – et par ricochet à Christine Lagarde – l'esprit de la laïcité. «Nous sommes en France, que faites-vous de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Chacun connaît l'importance déjà ancienne des pétrodollars dans le monde. Mais il y a d'autres moyens de s'accorder avec le droit islamique, sans introduire chez nous les principes de la charia». La remarque d'Emmanuelli a inspiré les députés de son bord. Le groupe PS à l'assemblée en a fait recours adressé au Conseil constitutionnel. Lequel a décidé, quelques jours plus tard, de censurer l'amendement. L'institution qui veille sur la constitutionnalité des lois estime que la disposition en question était «sans lien avec l'objet initial de la proposition de loi qui tendait à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises». En pleins travaux de la mission d'information parlementaire sur le port de la burqa, cet épisode législatif a cristallisé le débat sur la «finance islamique». Un député UMP des Yvelines s'en est pris aux tenants d'une législation «charia compatible». Vigoureux, il a affirmé qu'il «n'est pas question d'introduire le moindre amendement fondé sur la charia, la Torah ou la Bible». Un marché à 700 milliards de dollars Face à cette tournure inattendue, Bercy s'efforce de calmer le jeu, tout en mettant le cap sur son projet d'ouverture de la France à la finance islamique. «Nous n'allons imposer aucune norme religieuse aux Français, explique un conseiller de Christine Lagarde cité par la presse. Ce sont les investisseurs qui s'engagent sur un cahier des charges particulier, comme pour les fonds éthiques». Et le membre du cabinet de la ministre de plaider en faveur du projet initial. L'argent capté par les banques islamiques «sera une source de financement supplémentaire, notamment pour les grands travaux, les collectivités locales qui pourront émettre des sukuks». Marché bancaire de plus en plus mondialisé, la finance islamique pèserait, aujourd'hui, 700 milliards de dollars, selon les estimations les plus concordantes. Les prévisions les plus basses tablent sur des capitaux de l'ordre de 1500 milliards à l'horizon 2012. Née à la fin des années soixante dans les monarchies pétrolières du Golfe avant de se fructifier chez les «dragons» musulmans du sud-est asiatique, la finance islamique meuble désormais le paysage européen. La Grande-Bretagne a été le premier pays de l'Union européenne à s'y intéresser. La première banque agréée sous ce label a ouvert ses portes en 2004. L'Allemagne a suivi l'exemple british, poussée en cela par la présence sur son sol de l'importante communauté turque.