Il a fallu deux longues années pour que le journal danois Politiken présente enfin ses excuses aux musulmans pour la reproduction des controversées caricatures du prophète Mohamed. Ce démarquage a valu à la direction de cette publication les plus vives critiques de la part des quotidiens à grand tirage et une condamnation d'une grande partie de la classe politique danoise. Il est reproché à Politiken d'avoir cédé et d'avoir sacrifié la liberté d'expression, sacrée au pays de la petite sirène. Les rédacteurs en chef du journal incriminé auraient-ils mieux fait de camper sur leur position, quitte à ce que les frictions entre la communauté musulmane établie au Danemark et les autorités hôtes débouchent sur un point de non retour ? Médias et politiques à Copenhague ne semblent pas si préoccupés par les conséquences d'un énième clash civilisationnel. Advienne que pourra. La liberté de presse doit primer sur tout et ce n'est pas le choc des caricatures qui va changer cette donne démocratique. Ne manque plus qu'à crier sur les bords de Molleaen River : le Danemark ou on l'aime ou on le quitte ! Le message ne sera qu'un peu plus clair pour tous ceux qui ont cru un jour aux vertus de la grande démocratie occidentale. Lors de leur prochaine pause-café collective, hommes politiques et hommes de médias se demanderont-ils à quoi rimerait au juste l'appel au djihad lancé par le colonel Kadhafi contre la Suisse ? Bien qu'il ne dépassera pas les limites d'un boycott des produits venus de la Confédération helvète, ce «djihad économique» rappelle étrangement celui qui avait suivi la publication outrageuse de ces mêmes caricatures. L'Europe se soulèvera-t-elle toute entière contre ce qu'elle considère comme un écart de langage du guide de la Jamahiriya, l'origine de la crise suisso-libyenne ne remonte pas au référendum anti-minarets mais au jour de l'arrestation musclée du fils Kadhafi pour mauvais traitement de ses domestiques ? Paris n'a pas caché son indignation, l'appel à la guerre sainte est déplacé d'autant que les Vingt-sept font leur possible pour calmer le «jeu» entre Tripoli et Berne. Surtout que la libre circulation des ressortissants européens s'est vu entravée depuis que la Libye a décidé d'appliquer à la lettre son droit à la réciprocité. Réveil tardif pour l'Union européenne qui aurait dû s'écœurer au moment opportun, le jour où la presse danoise s'offrait un plaisir fou à croquer le prophète Mohamed, avec un turban explosif sur la tête ? Elle n'avait réagi unanimement que quand l'un des caricaturistes s'était fait attaquer en son domicile par un fou d'Allah. Comme si le choc des civilisations n'a de sens que quand la menace frappe à la porte de la grande démocratie occidentale. Quant à toutes les offenses faites au milliard de musulmans non djihadistes, ce sont tout bonnement les principes fondamentaux de la démocratie que l'on ressort à la veille de chaque confrontation programmée ou non. Un périlleux échange de mauvais procédés.