Le nouvel accord sur la réduction des armes nucléaires, signé jeudi dernier à Prague par les présidents Obama et Medvedev, est un pas important dans la mise en œuvre du Traité de Non Prolifération Nucléaire. Le monde est passé, pour la première fois en 50 ans, de la limitation à la réduction de ces armes aux capacités de destruction massive. Evidemment qu´il faut donc s´en réjouir. Le monde est toutefois encore loin de l´adieu aux armes nucléaires. Le syndrome de la guerre froide Le choix porté sur Prague pour célébrer un tel événement a une forte charge symbolique. La capitale de l´ex- Tchécoslovaquie avait été envahie par l´Armée Rouge en 1955. Une intervention militaire qui ouvrira grandes les portes de la course aux armements sur fond de guerre froide entre l´Alliance atlantique et les pays du camp de l´ex-«Pacte de Varsovie». C´est dans cette ville tchèque que le président des Etats-Unis a choisi de célébrer ce grand événement, avec les 11 chefs de gouvernement des pays de l´ex- camp soviétique. Avec la «nouvelle et jeune Europe». Quant à la «vieille Europe» – concept forgé par George Bush pour désigner les pays qui comme la France étaient opposés à sa nouvelle vision «atlantiste» – elle s´interroge sur le sens politique de cette lune de miel entre les Etats-Unis et ses adversaires de l´ex- Europe socialiste, vite devenus leurs nouveaux alliés inconditionnels. Le contrepoids à l´influence du gaullisme dans l´Alliance atlantique. La «jeune Europe» a fait ses preuves de fidélité à la Maison- Blanche. C´est en Pologne, chaud partisan de l´invasion d´Irak et d´Afghanistan, que l´ex-président américain avait choisi durant son dernier mandat d´installer son rideau de missiles. C´est le syndrome de la guerre froide. Moscou menace alors d´investir dans la mise en point d´un missile à portée intercontinentale. 8726 ogives nucléaires, peut-être le double La venue d'Obama à la Maison-Blanche – ou plus exactement le départ de Bush – est accompagnée de l´espoir de voir enfin les Etats-Unis s´engager dans la voie du désarmement. La Russie et les Etats-Unis, selon les estimations connues, possèdent toutes deux 8726 têtes nucléaires stratégiques. La France 300, la Chine 180 et le Royaume-Uni 160. Ces cinq puissances atomiques traditionnelles pourraient en posséder facilement le double, une inspection technique fiable de ce genre d´armement n´étant pas évidente. Moscou, Washington et les trois autres pays ont de quoi arroser la planète de ce genre d´engin et répéter autant de fois la tragédie de Hiroshima, de Nagasaki et des essais français de 1963 près de Reggane. La tentation nucléaire a progressivement gagné d'autres régions du monde. Les regards sont focalisés sur l´Iran. Pourtant, dans la région, tout le monde ou presque a déjà depuis longtemps sa bombe et les instruments qui lui permettent de la lancer chez le voisin : l´Inde possède la sienne avec entre 60 et 80 ogives nucléaires, le Pakistan aussi avec entre 70 et 90 alors que la bombe d´Israël et les accessoires qui vont avec, personne n´en parle. Israël, sixième puissance nucléaire C´est le «grand tabou». La bombe est pourtant gardé bien au chaud dans les installations nucléaires du Néguev, avec environ 200 à 300 ogives nucléaires capables d´atteindre, outre la Syrie et la Jordanie qui se trouvent à un pas de là, l´Irak, l´Egypte et l´Iran. Israël, c´est là un secret de Polichinelle, est bien la sixième puissance nucléaire au monde, derrière les Etats-Unis, la Russie, la France, la Chine et le Royaume-Uni. L´une des premières mesures de Barack Obama, une fois à la Maison-Blanche, fut d´abord de rassurer Moscou par l´abandon, en 2009, de l´idée de Bush de mettre en place un rideau antimissiles aux portes de la Russie. Le nouveau chef de la Maison-Blanche entend rassurer Moscou sur sa propre sécurité et surtout convaincre Medvedev de ne pas mettre son veto à de nouvelles sanctions internationales contre l´Iran qui tient à son «droit» à posséder l´arme atomique. A avoir lui aussi «sa bombe». Shimon Peres, président israélien de l'époque, avait admis, en 1965, qu´en 1956, date de l´invasion de Suez par la coalition franco-anglo-israélienne, en pleine guerre d´Algérie, Israël avait reçu l´assurance que la France l´aiderait à monter sa bombe atomique. Après 18 ans de prison suite à un procès qui s´est déroulé dans un secret absolu pour avoir révélé qu´Israël avait sa bombe, l´ingénieur israélien Morchedaï Vanunu persiste et signe le 20 octobre 2005, dans une mémorable déclaration à la presse : «Oui, Israël détient la bombe atomique, c´est plus qu´une évidence. Bien entendu, ce n'est pas pour le peuple israélien que j'ai fait ce que j'ai fait (ses révélations). Les Israéliens avaient élu ce gouvernement, et ce gouvernement avait décidé de les doter d'armes nucléaires. En ce qui me concerne, je réfléchissais à partir du point de vue de l'humanité, du point de vue d'un être humain, de tous les êtres humains vivant au Moyen-Orient, et aussi de tous les êtres humains dans le monde entier. Car ce qu'Israël avait fait, beaucoup d'autres pays pourraient le faire. Tous les pays devraient être ouverts aux inspections internationales et dire la vérité sur ce qu'ils sont en train de faire, secrètement, dans toutes les installations nucléaires dont ils disposent». Un réquisitoire sans appel d´un témoin direct. Pourquoi aucun expert de l´AIEA n´a-t-il mis les pieds dans le Néguv ? Israël n'a pas signé le Traité de non-prolifération nucléaire. L´Etat hébreu est parmi les rares parmi cent quatre-vingt pays, dont tous les pays arabes de la région, l'Égypte, la Syrie, le Liban, l'Irak, la Jordanie, à ne pas l´avoir fait. Les pays arabes voisins d'Israël ont ouvert leurs frontières aux inspections de l'AIEA. Pas Israël, «le pire exemple. C'est le seul pays qui ait refusé de signer le Traité de non-prolifération nucléaire», selon Vanunu. Ni les États-Unis ni l'Europe qui s´acharnent aujourd´hui sur l´Iran, n´ont cru devoir faire pression sur Israël, pour l´obliger à signer le Traité de non-prolifération nucléaire et lui imposer libre accès des inspecteurs de l'AIEA au centre de Dimona». Pour avoir été soupçonné de disposer d´armes de destruction massive, l´Irak a été envahi, en 2003, par la coalition internationale conduite par les Etats-Unis. Pourtant ses installations nucléaires avaient été passées au peigne fin par les inspecteurs de l´AIEA. En 1995 déjà, l´Algérie avait signé tous accords et protocoles internationaux sur l´utilisation de l´énergie atomique, sans être obligée de les signer tous, et permis l´inspection de son réacteur de Aïn Oussara. La France et les Etats-Unis ne cesseront que bien plus de la soupçonner d´être tentée d´avoir elle aussi sa bombe atomique. Jamais, par contre, les installations de Dimona où Israël enrichi l´uranium importé d´Afrique du sud sous le régime d´apartheid Worster, avec l´assistance technique américaine et française, n´ont reçu la visite d´un expert de l´AIEA. Pas un seul d´entre eux n´a mis les pieds dans le désert du Néguev lorsque De Gaulle avait imposé l´embargo sur les armes à destination de l´Etat hébreu à la suite de la guerre d´agression de juin 1967. Israël était déjà une puissance nucléaire. Le secret bien gardé Faut-il s´étonner que Benjamin Netanyahou ait décidé, à la dernière minute, de ne pas assister au Sommet sur le «terrorisme nucléaire» convoqué par Obama, du 12 et 13 avril prochain à Washington où les représentants de 47 pays au niveau le plus élevé doivent définir les moyens de sécuriser des éléments nucléaires vulnérables, donc susceptibles de tomber entre les mains des groupes terroristes ? Rien de surprenant que le Premier ministre israélien ait choisi d´éviter de répondre à une question taboue en Israël. En 1969, deux ans après la guerre des six jours, l´ancien président Richard Nixon avait signé avec le premier ministre israélien Golda Meir un «protocole d´entente» par lequel les dirigeants israéliens «s'abstiendraient de toute déclaration publique sur le potentiel nucléaire de leur pays et ne procèdent à aucun test nucléaire. En échange, Washington s'était engagé à s'abstenir d'exercer des «pressions» sur ce dossier. Les Etats-Unis aident l´Etat hébreu à entretenir le «flou» sur la bombe israélienne. Déjà, côté lobby juif à Washington, on s´emploie à minimiser l´absence de Netanyahou à ce sommet. Le porte-parole de la secrétaire d´Etat à la Sécurité nationale, Janet Napolitano, s´est contenté de «prendre acte» de la décision de Netanyahou de se faire représenter à Washington par le chef des services de renseignements. Côté israélien, on est rassuré : «Cette politique du flou constitue un des fondements de la sécurité nationale israélienne et les Etats-Unis la considèrent comme très importante. Il n'y aucune raison pour que les Américains modifient leur approche ou que la position israélienne change», a affirmé, jeudi, le vice-ministre israélien des Affaires étrangères Dany Ayalon. Aucun dirigeant israélien n'a osé jusqu'à présent briser le tabou. Ni aucun responsable américain violer cette loi du silence. Un monde sans armes nucléaires est-il possible dans ces conditions de «flou», «clairement» entretenu autour de la bombe israélienne ? Rien d´étonnant, donc, que Al Qaeda cherche à acquérir elle aussi son petit engin nucléaire.