Dans certaines juridictions, et cela va devenir une habitude, une fâcheuse habitude, nous assistons, de temps à autre, entre douze à treize procès, à des victimes qui viennent à la barre, non pas pour tenter de réaffirmer leurs dires, non pas pour réclamer des milliards de dommages ou encore pour demander au tribunal de prendre l'inculpé de vol et donc méritant un châtiment exemplaire. Non ! Ces victimes se présentent à la barre pour d'abord se désister sur leurs droits, pardonner, effacer l'ardoise du délit. Et ce moment que choisissent les juges du siège pour entamer un cours de droit et en droit de fustiger les victimes avant d'expliquer souvent à l'assistance que même si la victime pardonnait, le ministère public, lui, ne revient jamais en arrière, sauf en matière d'adultère, avec le retrait de la plainte du conjoint. C'est tout, sinon oualou... A la vue de ce Salah H., 37 ans, inculpé de vol, Nadia Amirouche, la présidente de la section correctionnelle du tribunal de Hussein Dey (cour d'Alger) s'exclame : - «Et voilà, Si Salah. Vous êtes revenu encore ce mardi. Et juste après les fêtes dans les parages.» Le détenu baisse la tête car il est déjà passé par là, chez Amirouche, chez Tabi, chez Yahiaoui, chez Ayadi, chez Cherifi (déjà, à l'époque) le récidiviste-type quoi ! Ce qui avait même fait exclamer Bahia Allalou, la juge du mercredi, qu'il en était au second tome pour ce qui est du casier judiciaire. Salah ne sourit même pas, alors que la salle éclate de rires. La juge regarde dans les yeux le détenu qui réside à Kouba, ce beau quartier qui n'échappe pas lui aussi aux malfaiteurs du coin, toujours à la recherche d'un petit canasson à déplumer. Cette fois, c'est une jeune étudiante d'ailleurs venue à la barre non pas exiger des dommages mais jouer à l'avocate de son bourreau, suite avait-elle déclaré aux multiples visites de sa maman nous enjoignant de soulager son fils. Là, la présidente y passera outre, car auparavant, Salah H. avait dit ses regrets, demandé mille excuses à la fille, à sa famille et à la justice. Il a regardé en direction de Zahia Houari, la procureure, avant de balancer sans sourire : «Vous, S.V.P, soyez cool. Ne demandez pas une lourde peine.» - «Et voilà, dit avec le sourire Amirouche. Vous savez donc qui est cette dame ? Et quel est son rôle ?» Salah reste debout. Il ne va pas s'agenouiller tout de même, puisqu'il sait que c'est la présidente qui est tout dans cette salle. La victime, une fois le sale boulot dans le sens d'une perche tendue achevé, est priée de rester à l'écart sans plus de commentaire. - «Ainsi vous vous désistez ?», demande une dernière fois la présidente qui prend acte du «oui madame la présidente mais je voudrais...» - «Non, mademoiselle, le tribunal ne veut pas en entendre plus», clame le menton haut la magistrate dont le regard balaie la salle avant de revenir vers Houari, qui va mâchonner un très sec «six mois de prison ferme». Après quoi, Salah avait baissé la tête comme si le poids des demandes de la jolie parquetière lui était tombé sur les épaules et l'a assommé. - «Inculpé, dites au tribunal le dernier mot, un seul mot !» Salah restera muet. Il n'ouvrira plus la bouche jusqu'à ce que Saïd, le brigadier faisant office d'huissier d'audience, le raccompagne fermement mais proprement aux geôles du tribunal, où il va deux heures plus tard apprendre l'an de prison ferme infligé par le tribunal qui a vu la récidive peser. La victime, elle, ne comprend pas. «Je lui ai pardonné. Pourquoi une telle peine ?»: dit-elle haut. Elle ignore l'action publique et ses ravages.