Vol Hadja Akila vient de boucler ses 98 ans et connaît un problème avec un jeune qu?elle accuse de lui avoir subtilisé la coquette somme de six millions de centimes d?une boîte soigneusement placée dans l?armoire. Taboudoucht s?arme de beaucoup de patience, car avoir une femme âgée, abattue par le méfait, n?est pas une partie de plaisir. D?ailleurs, elle va dire à son âge, des mots que même Me Arezki Belouadhah n?a pas prononcés. Il lui arrivera de crier sa douleur, de gesticuler. Elle réclame justice et son fric évidemment. Sa canne à la main gauche tournoie le temps d?une phrase mal placée. «Hadja, si vous demandez que justice soit rendue il faudra vous calmer et expliquer exactement comment s?est passé le vol», annonce la juge. La presque centenaire ne dit que onze mots alignés : «Il a profité d?un moment d?inattention pour me voler.» Kheloufi, le procureur, ne pose aucune question, lui, d?habitude, impatient d?obtenir des éclaircissements dans de pareilles situations. Pourtant, il sourit, surtout lorsque la victime, probablement lasse, demande à la présidente la permission de s?asseoir. Elle le fait en empruntant une petite surface de l?estrade supportant le pupitre du ministère public. Même assise, Hadja Akila ne se tait pas. Elle n?écoute même pas le jeune détenu expliquer qu?il est étranger à cette affaire. «J?habite chez El-Hadja depuis dix-huit ans et elle ne m?a jamais reproché un quelconque fait ni méfait. C?est une très bonne voisine.» Taboudoucht trouve la dernière précision rigolote : «Elle vous héberge. Elle n?habite pas à côté de vous», ironise-t-elle. La vieille dame lève la main. Elle demande à dire autre chose. La juge dit oui de la tête et du bout des lèvres. «Madame la présidente, ce voleur est passé un mercredi me demander la clé de la maison», bafouille-t-elle avant d?ajouter : «Il a tardé à l?intérieur du domicile et je pensais un instant qu?il était aux toilettes. Trois jours après j?ai ouvert la boîte et découvert qu?elle était bourrée de papier. Personne ne m?a rendu visite entre-temps.» Naïma Taboudoucht, cette juge, qui ne supporte pas les dépassements, effectue une mise au point que Hadja ne suit même pas, car elle a une idée fixe, figée, ancrée. «Hadja, cet inculpé n?a pas encore été confondu. Ne redites plus voleur. Nous verrons tout cela lorsque le procès tirera à sa fin». Pour la vieille, Me Belouadhah, l?avocat rouquin, évoque une histoire de domicile : «Il appartient à ma cliente, pas à l?inculpé.» Il demande la somme disparue (il dit volée) et le même montant pour les dommages et intérêts (douze millions au total). Me Samia Hadj Sahraoui, le défenseur du prévenu, parle de plaisanterie de très mauvais goût. «Il n?y a absolument rien dans le dossier. Personne n?a vu mon client entrer, voler et repartir», s?écrie Me Hadj Sahraoui qui donne une info à la juge : «Elle avait une femme de ménage qui aurait pu passer entre le mercredi et le vendredi.» Puis, appuyant sur le champignon, car le liberté de son jeune client était en jeu, le conseil reparle de l?âge avancé de son allure sénile, des mots incohérents prononcés. «Elle ne peut pas se souvenir des allées et venues des voisins, des proches, de, de et de?», conclut le défenseur qui dément, par ailleurs, que la vieille héberge son client depuis dix-huit ans. Selon elle, ceci est faux : «Cette histoire est née depuis le jour où le père de l?inculpé, en vérité le propriétaire du domicile, avait commencé à s?intéresser à la maison». «Elle a trouvé ce subterfuge pour le faire taire», siffle l?avocate. Kheloufi, le procureur qui avait demandé l?application de la loi a ironisé : «Madame la présidente, une sénile qui trouve un tel subterfuge, n?en est plus une.» On sourit dans la salle. La présidente prend sa décision en fin d?audience ; le jeune est relaxé au bénéfice du doute. La vieille n?était plus là pour trouver à redire.