Othmane Bali, un homme de grandes qualités humaines ouvert aux fusions et aux métissages musicaux. Il avait enregistré trois albums avec l'Américain d'origine indienne sherokee Steve Shehan et avait terminé une belle aventure musicale avec le jazzman français Jean-Marc Padovani. Décédé à l'âge de 52 ans, emporté par la crue d'un oued dans la nuit du vendredi 17 juin 2005 dans le Tassili n'Ajjer, il était le premier à avoir osé jouer à l'imzad (un instrument à un fil joué exclusivement par les femmes), mais le luth, c'était son instrument préféré qu'il maîtrisait à merveille. Ce chantre de la culture targuie chantait le désert de sa voix profonde et pure. Il racontait l'espace infini et le souffle du vent qui caresse les dunes, et le sable qui «coule» entre les doigts… Désert bleu, désert blues. C'est sa mère, Khadidjata, grande chanteuse de tindé, qui lui avait transmis ce genre musical targui, en même temps que la vie. Né au mois de mai 1953, au pied du plus haut palmier de Djanet, Othmane avait été bercé par ses chants et ses poèmes. Il avait découvert le luth au début des années 1970, alors qu'il était étudiant en médecine puis s'était mis à écrire des textes en tamacheq, la langue berbère parlée par les Touareg et en arabe ainsi que certains refrains en français. Auteur, compositeur, interprète, il a contribué à faire (re)découvrir ce patrimoine musical, en Algérie et dans le monde entier, ses tournées le menant jusqu'au Japon. Tout en restant profondément attaché à la tradition, il a réussi à renouveler le genre tindé notamment en enregistrant dans les années 1990 trois albums avec l'Américain d'origine cherokee Steve Shehan. Il portait toujours sa superbe tenue traditionnelle targuie. «Plus je suis loin de chez moi, et plus j'ai envie de la mettre !», disait-il. Il possédait une grande culture artistique Avec son talent artistique et sa modestie, il a gagné l'estime d'un grand public qui l'a salué lors de son passage au boulevard des Martyrs en 2001. Nous lui avions arraché cette interview dans laquelle il nous avait parlé de ses projets et de l'émigration. Il nous avait dit : «Moi, je n'ai pas un autre pays en échange, mon unique pays c'est ma terre nourricière : c'est l'Algérie.» Othmane Bali avait une allure de sportif. Il possédait une grande culture artistique et maîtrisait parfaitement l'arabe, le français et le targui qui était sa langue maternelle. Et à nos diverses questions, il nous avait répondu : «Ma mère est poétesse et chanteuse en targui. Pour moi, j'ai appris cet art en étant fœtus, d'ailleurs le premier son que l'enfant entend, c'est celui de sa mère.» A notre question, s'il avait connu Alger auparavant, il nous répondit : «Je suis venu à Alger en colonie de vacances. J'avais 9 ans, j'ai vu pour la première fois un accordéon, j'étais fasciné par la sonorité et les octaves qui se rapprochaient de la sensibilité humaine. Alors quand je suis reparti à Djanet, comme je ne pouvais pas fabriquer un accordéon, j'ai confectionné une guitare avec un bidon. A l'âge de 12 ans, on m'a intégré dans une troupe musicale de la JFLN avec Lasmi Abderrahmane, je pratiquais la danse orientale, et je jouais avec des instruments de percussion. Puis j'ai fabriqué une autre guitare avec une carcasse. Cependant, je n'ai pas trouvé les mélodies de mon enfance, j'étais obligé d'arracher les barrettes de cet instrument et de remplir ce vide par un mélange de terre et de dattes (mastic) pour trouver la sonorité que je cherchais et qui est une gamme à cinq notes. Alors que mon premier véritable luth, Je le dois à Djoudi Mabrouk un luthier de la région. Au niveau de ma région, je suis connu depuis très longtemps. Mais au niveau national, c'est depuis que je suis passé à l'émission «Mosaïque» en 1978 à la l'ENTV (c'était la RTA à cette époque). Un mois après, on m'a invité en Espagne pour présenter la musique et la danse traditionnelles. Je sais jouer du luth et du violon, de la guitare, de l'accordéon et bien sûr de la percussion. Moi, je n'ai pas un autre pays en échange, mon unique pays, c'est ma terre nourricière, c'est l'Algérie. Je ne sais pas… Je suis sincère, je veux faire plaisir à mon public. J'essayerais de faire connaître la musique targuie à travers le monde.» Othmane Bali a tenu sa promesse puisqu'il a réussi à exporter la musique targuie très loin de nos frontières, en Europe, aux Etats-Unis, au Japon et ailleurs. Demaâ (une larme) est le titre d'une très belle chanson composée aux rythmes d'une berceuse qui reflète la personnalité de cet artiste à grande sensibilité.