Le bateau Al Djazaïr II en provenance d'Oran, jeudi, effectuait sa routinière manœuvre d'entrée dans le port d'Alicante sous les jumelles d'une vedette de la gendarmerie qui le suivait à quelques dizaines de mètres depuis l'approche des côtes espagnoles. Les «liaisons régulières» des pateras La scène est courante depuis qu'un sans- papiers avait risqué un plongeon spectaculaire du navire à bord duquel il avait été embarqué par la police quelques moments plus tôt. Les gardes-côtes espagnols ne veulent laisser rien au hasard, tout contrôler, y compris les malles des voitures des nombreux vacanciers algériens pourtant passées au filtre par la police et les douanes algériennes dans les ports d'Alger et d'Oran qui sont reliés quotidiennement à la ville d'Alicante. Depuis le retour des grandes chaleurs estivales, ces liaisons ne sont plus seulement celles de la compagnie algérienne Algérie Ferries. Il doit exister autant de rotations régulières sur la route maritime parallèle des «pateras», vocable par lequel les Espagnols désignent les embarcations de fortune de trois à quatre mètres de longueur au maximum, utilisées par les harraga pour tenter de rejoindre les côtes espagnoles distantes entre les points les plus proches entre les deux rives de seulement 130 à 140 km. Pour contrôler le mouvement incessant de ces pateras, surtout en période estivale, les gardes-côtes espagnols ont besoin de plus de moyens que la paire de jumelles des gendarmes. Le Sive fait ses preuves Depuis l'année 2008, en effet, le Système intégral de surveillance côtière (Sive) est en service. Ce système a fait ses preuves dans le détroit de Gibraltar, la première route des harraga marocains au début de la décennie, et son efficacité a été confirmée face à l'avalanche, en 2007, des Subsahariens vers les Canaries. Le Sive se compose d'une série de radars capables de visionner depuis plusieurs postes installés sur la côte andalouse les mouvements suspects des petites embarcations, parfois jusqu'à 40 milles (70 km environ) au large de Cabo de Gata (Almeria). Les criques et les plages de cette localité sont devenues la destination privilégiée des candidats à l'émigration clandestine depuis la côte oranaise. Cette nouvelle ligne fonctionne à plein régime depuis que les autorités espagnoles ont renforcé l'efficacité du Sive sur la côte atlantique de l'Afrique de l'Ouest et dans le détroit, grâce au soutien logistique (avions de surveillance côtière, navires de guerre et patrouilles légères mixtes) du Frontex, l'Agence de surveillance des frontières européennes. Une moyenne de 10 pateras interceptées par semaine Une dizaine de pateras en provenance de la région d'Oran, d'une capacité moyenne de 12 personnes, sont ainsi interceptées chaque semaine par les gardes-côtes espagnols grâce au Sive, mais aussi à la suite des alertes données au 112 (téléphone d'urgence) par les chalutiers qui mouillent dans cette partie de la Méditerranée ou les navires marchands de passage. Leur nombre serait toutefois beaucoup plus important sans la vigilance renforcée par les unités de la Marine nationale algérienne des criques privilégiées pour les «sorties» en mer suspectes, souvent de nuit, des petites embarcations, canots et pneumatiques compris. Les «maffias» peuvent-elles tromper la surveillance renforcée au sud et au nord de la Méditerranée ? Le brin de réponse, il faudrait peut-être le chercher au sein des bureaux de main-d'œuvre espagnols qui sont pris d'assaut à l'aube par les deux millions de chômeurs victimes de la crise économique auprès des associations d'immigrés et aux guichets des consulats algériens de Madrid et d'Alicante où ces nouveaux sans-papiers fraîchement débarqués dans de tragiques conditions se disent disposés à faire «n'importe quel travail» en usant de toutes les astuces possibles. Ces astuces leur sont soufflées déjà dans le pays d'origine par les maffias qui organisent les traversées vers l'eldorado : perte de passeport, mariage en blanc avec une européenne de 20 ans plus âgée que soi, avec la baraka de Dieu une compatriote naturalisée, ou devenir carrément un indicateur de police. Harraga et bouchkara Les services de police étrangère d'Alicante se montrent assez compréhensifs avec les «bouchkara» qui les aident à identifier les «maffias» spécialisées dans le trafic des personnes. Au moins un harrag par patera interceptée collabore à l'identification du patron de l'embarcation de fortune ou des organisateurs du voyage. Trois de ces «patrons» sur les treize occupants de l'embarcation interceptée lundi au large d'Almeria, N. M. 30 ans, natif d'Oran, et ses deux aides, B. N. et M. A., 19 ans et 22 ans, de la même ville, ont été «dénoncés» par un jeune passager du voyage contre la promesse de ne pas être expulsé sur-le-champ comme le reste de ses compagnons de voyage, à l'exception bien sûr des trois «patrons» qui, eux, seront présentés à la justice. Ils risquent, outre la saisie de leur barque et une forte amende, une lourde peine de prison, entre 2 et 5 ans, pour «atteinte aux droits des droits étrangers», selon la nouvelle disposition du code pénal amendé en 2007, pour combattre les «maffias» de l'immigration clandestine. De femmes mais aussi des mineurs Les six femmes qui étaient du voyage ne seraient pas non plus expulsées dans l'immédiat. Peut-être parviendront-elles même à se faire régulariser rapidement pour des raisons humanitaires, grâce à l'action des associations féminines et des organisations civiles humanitaires de soutien aux personnes en situation de détresse. C'est cette astuce qui est avancée par les recruteurs dans le pays d'origine : «On n'expulse pas les femmes enceintes et même plus les femmes tout court, ni les mineurs !» La traversée qui dure entre deux et trois jours par patera avec un risque certain de naufrage en haute mer, un trajet que les car-ferries font en huit heures, signifie-t-elle la fin du calvaire pour ces femmes et ces mineurs harraga, un phénomène récent qui prend de l'ampleur chaque année, naïves victimes du rêve à l'eldorado qui a totalisé plus 3 millions de chômeurs alors que l'Algérie est en voie de créer d'ici à l'horizon 2014 trois millions de postes d'emplois.